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Au Penjab, les paysans sèment une autre Révolution verte
jeudi, 30 août 2012
/ Angela Bolis / Journaliste |
Dans cet Etat du nord de l’Inde, de plus en plus de fermiers s’engagent sur la voie du bio. Ils rompent ainsi avec cinquante ans de production intensive, d’épuisement des sols, d’endettement. De suicides aussi, souvent.
Jarnail Singh fait tourner, doucement, son bâton dans l’eau trouble. Des grains brunâtres se soulèvent, formant des volutes en suspension. Le fluide semble empli de vie. « Voici ma recette, dit l’agriculteur au turban orangé. Dans 200 litres d’eau, je mets 10 kg de bouse, 7 litres d’urine de vache, 2 kg de mélasse et 1 kg de farine de pois chiche. Il faut tourner matin et soir, dans le sens des aiguilles d’une montre, pour donner de l’oxygène aux micro-organismes. »
Dans sa ferme, près du village de Mahji, au Penjab, ce sont les micro-organismes qui s’occupent des champs, le fermier ne fait que superviser, aime à dire Jarnail Singh. Dans cet Etat du nord de l’Inde, il n’est pas rare de voir, entre la moisson du riz et les semailles du blé, les agriculteurs mettre le feu à leur champ pour y brûler la paille qui y reste. Jarnail, lui, laisse les résidus des récoltes se mêler à la terre, et répand le lisier qu’il concocte. La flore et la faune microscopiques qui y pullulent décomposent ces résidus dans le sol et permettent aux plantes d’absorber les nutriments par les racines. La méthode est efficace. Dans sa rizière, les pousses ondoient, vert tendre, un brin dorées, presque translucides. L’exploitant pointe du doigt le champ de son voisin, qui travaille en agriculture intensive. Le contraste est saisissant. Les plants sont secs et s’affaissent. « Les pesticides et les engrais chimiques tuent les micro-organismes, commente-t-il. Le système immunitaire de la plante s’affaiblit, elle perd sa vigueur. » Il s’accroupit et tapote le sol. « Tous ces produits rendent le sol très dur. L’eau s’infiltre moins bien, et les racines poussent moins en profondeur. Alors que ma terre est tendre », ajoute-t-il avec un brin de fierté.
A l’inverse, depuis le lancement de la « Révolution verte » (lire l’interview au bas de cet article) dans les années 1960 – une vaste réforme agraire qui a impulsé le passage d’une culture vivrière à intensive en Inde – nombre d’agriculteurs sont entrés dans une course folle aux investissements. Pour se mécaniser, creuser des puits d’irrigation toujours plus profonds, acheter des intrants de plus en plus chers, et des semences dont certaines – comme le coton BT de Monsanto –, sont stérilisées. Dans ce pays agricole où trois quarts des paysans possèdent moins de deux hectares de terre, les petits cultivateurs ont payé le prix fort de ce mode de production. Au point de se retrouver, pour certains, acculés dans une impasse financière.
Si les conséquences de la Révolution verte ont été lourdes, cette politique a toutefois permis à l’Inde de relever, après son indépendance, le défi de sa souveraineté alimentaire. A grands renforts de subventions, l’Etat impulse alors une réforme agraire dans les régions les mieux parées – en particulier le Penjab, riche d’une tradition agricole ancestrale. Elle repose sur trois piliers : l’irrigation, les engrais chimiques, et de nouvelles variétés de blé et de riz à haut rendement. Pour inciter à la monoculture de ces deux céréales, il rachète à un prix minimum une part importante des récoltes, qu’il stocke et redistribue dans tout le pays.
Dans les premières décennies, les fruits de la Révolution verte semblent tenir du miracle. Entre 1960 et la fin des années 1990, l’Inde voit ses rendements de riz doubler et ceux de blé tripler. Au Penjab, ces derniers sont même multipliés par six – ce qui vaut à l’Etat son surnom de grenier à blé de l’Inde. Mais, alors que la nation parvient à une autosuffisance céréalière, elle devient aussi le troisième pays consommateur d’engrais au monde. Dans le Penjab, l’excès d’irrigation a, en certains endroits, noyé les terres, devenues salinisées et stériles, tout en asséchant les nappes phréatiques.
Amarjeet Sharma a la barbe blanche, le regard droit et la voix paisible. Dans sa ferme près de Chaina, il passe de longues heures à chasser les perruches qui viennent picorer son millet. « Ça pousse tout seul », sourit-il. Il fait partie, comme Jarnail Singh, des rares paysans penjabis à s’être convertis à l’agriculture naturelle. « Avec l’agriculture commerciale, il suffit d’une mauvaise saison pour se retrouver les poches vides… Je cultive pour ma famille et moi, et je ne vends que les surplus », observe le fermier, pragmatique. Chaque semaine, il participe à un petit marché bio associatif, lancé cette année dans la ville voisine de Batinda.
A lui seul, Amarjeet Sharma s’occupe d’une soixantaine de variétés, qui s’entremêlent sur à peine deux hectares. Des goyaves, des cacahouètes, du piment, des courges, du basilic, du curcuma… Un joyeux enchevêtrement d’essences où rien, pourtant, n’est laissé au hasard. L’homme est passé maître dans l’art du compagnonnage, associant diverses plantes qui se rendent des services mutuels. Son margousier – l’un des sept arbres sacrés des Védas hindouistes – produit un puissant insecticide. Quant à ses haricots, piqués ça et là au milieu de son millet, ils fixent l’azote, dont a besoin la céréale pour s’épanouir. L’agriculteur a aussi créé, dans son corps de ferme, une des premières banques de semences de la région. Quelques étagères sur lesquelles s’entassent des pots de graines de toutes formes et couleurs, qu’il multiplie puis distribue gratuitement. Il est conscient qu’au Penjab, la monoculture a causé une érosion de la biodiversité des espèces cultivées. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, on ne verra bientôt plus qu’une dizaine de variétés de riz en Inde, là où on en comptait autrefois plus de 30 000 !
Entretien avec l’agronome Monkombu Swaminathan. Agé de 87 ans, il est considéré comme le père de la « Révolution verte ».
L’étude de l’Ifpri sur les suicides
Le site de l’ONG Gene campaign
Agriculture et alimentation de l’Inde, de Frédéric Landy et Bruno Dorin (Inra éditions, 2002)
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