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Comment la nature renaît-elle de ses cendres ?
jeudi, 23 août 2012 / Alexandra Bogaert

Les incendies dévorent des milliers d’hectares de forêt chaque année. Or le bois calciné se vend mal et la nature met du temps à retrouver des couleurs. On peut l’y aider, à condition d’investir et d’être patient.

Faire feu de tout bois, c’est le principe même d’un incendie de forêt. Mais une fois la fureur des flammes calmée, restent des sols carbonisés et des troncs calcinés. Lugubre spectacle. Comment agir pour redonner vie aux étendues noircies ? Laisser la nature se régénérer à son rythme ou l’y aider ? Pour quels résultats et à quels coûts ?

C’est une question que doivent se poser les autorités américaines en ce moment-même. 2,8 millions d’hectares sont partis en fumée depuis le début de l’année aux Etats-Unis, dont près de 220 000 en Californie, Etat placé en état d’urgence ce jeudi.

En Espagne, les flammes ont réduit en cendres 139 886 hectares entre janvier et début août, soit 0,5% de la superficie forestière du pays, selon le ministère de l’Agriculture. Et dans le nord du pays, les pompiers se battent depuis plusieurs jours contre un incendie qui a déjà détruit 10 000 hectares supplémentaires. L’Italie et la Croatie ont elles aussi vu des dizaines de milliers d’hectares prendre feu cette année.

Invisible, les braises couvent encore à Lacanau

Touchons du bois : la France est relativement épargnée cette saison, bien que 650 ha de pinède aient brûlé la semaine dernière à Lacanau, en Gironde. Mais si le feu y est éteint en surface, il couve toujours en sous-sol, alimenté par l’humus et de vieilles souches. Il faudra encore deux à trois semaines avant de l’étouffer définitivement.

L’an dernier, près de 9 630 hectares ont été parcourus par le feu en métropole, auxquels il faut ajouter 2 900 hectares à la Réunion, selon les chiffres du ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

La forêt française représente 28% du territoire national, et la filière bois embauche 425 000 personnes. Un incendie qui éclate et ce sont donc des emplois qui se perdent.

Les conséquences d’un feu ne sont pas partout les mêmes

Ceci est plus vrai encore pour le Sud-ouest qu’en Provence-Alpes-Côte-d’Azur. « Parce qu’en Provence, la forêt n’est pas vraiment cultivée. Les pinèdes sont apparues spontanément, sur d’anciennes terres agricoles. En cas d’incendie, on laisse la nature reprendre ses droits », explique Louis-Michel Duhen, du Centre régional de la propriété forestière Provence Alpes Côte d’Azur. Dans cette région, les essences – essentiellement des résineux - se diffusent très facilement et peuvent germer dans des conditions difficiles.

« Dans un grand nombre de cas, la reconstitution de l’écosystème s’effectue spontanément : régénération naturelle des essences forestières par rejet de souche (une nouvelle pousse apparaissant sur un tronc coupé), germination du stock de graines du sol ou ensemencement naturel par les arbres épargnés, re-colonisation par les animaux », abonde le ministère de l’Agriculture dans un dossier sur la prévention des incendies paru récemment.

Pas de bois carbonisé dans le papier

Mais en Aquitaine, où le bois est cultivé pour être transformé en bois d’œuvre ou en papier, la nature bénéficie d’un coup de pouce afin qu’elle renaisse de ses cendres au plus vite.

Un incendie comme celui de Lacanau représente en effet un préjudice d’environ deux millions d’euros pour la filière. Parce que « le bois marchand (soit des arbres de 10 à 30 ans, ndlr), resté sain malgré les flammes mais dont l’écorce est noircie, va perdre 20% à 30% de sa valeur à l’achat », explique Gérard Larrue, conseiller forestier à la chambre d’agriculture de la Gironde.

Trop salissant, encrassant bûcherons et machines, il va avoir du mal à s’écouler comme bois de chauffage ou comme pâte à papier. Quant au bois non commercialisable - car trop jeune pour cela -, il sera broyé et laissé sur place. Les propriétaires ne pourront reboiser que dans un an minimum, le temps que le milieu redevienne favorable.

Reboiser, c’est cher et c’est très très long

Mais tout cela a un coût : entre 1 000 et 1 500 euros par hectare, que doivent assumer les propriétaires des terrains. Or, en France, 3,5 millions de petits propriétaires forestiers gèrent 75% de la forêt française. Ils possèdent 3,5 hectares en moyenne. Le coût du reboisement n’est donc pas négligeable pour eux, et le résultat jamais garanti.

De plus, l’investissement se fait sur le très long terme. Pour reconstituer une forêt aux arbres plus grands que des hommes, il faut attendre 30 à 40 ans si on laisse faire la nature, une vingtaine d’années si on lui donne un coup de main. De quoi épuiser même ceux qui aiment regarder les arbres pousser...