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Les Français ne seront plus plombés au mercure
mercredi, 4 juillet 2012 / Alice Bomboy /

Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

Bien qu’ils soient toxiques pour l’environnement et la santé, les amalgames dentaires, bourrés de mercure, continuaient d’être soutenus par la France. Elle vient enfin de s’engager vers un retrait de ces pollueurs en puissance.

Dans la famille des dispositifs médicaux à risques, je demande les prothèses PIP bourrées de silicone industriel, les prothèses de hanche chargées de chrome et de cobalt... et les amalgames dentaires. Ces derniers, utilisés pour obturer les dents lorsqu’une partie cariée a été retirée, ont une particularité : bien qu’on les appelle encore familièrement « plombages », ils ne contiennent plus de plomb mais du mercure. Or, ce métal n’est pas banal : il est hautement toxique, pour la santé comme pour l’environnement. Les dentistes français n’en ont que faire : « Plus de 17 tonnes de mercure dentaire sont placées chaque année dans la bouche des Français », dénonçaient les représentants d’associations engagées contre l’utilisation du mercure dans une tribune en mars 2012.

Jusque-là inflexibles sur le sujet, les autorités françaises viennent de lâcher du lest : alors que des négociations internationales sont en cours sur le mercure, elles ont annoncé qu’elles ne s’opposaient pas « à une suppression des amalgames au mercure dans le traitement de la maladie carieuse ». « Les amalgames dentaires […] contiennent du mercure, un métal neurotoxique, néphrotoxique, immunotoxique, mais aussi génotoxique et perturbateur endocrinien. Il est absurde de constater qu’il est interdit de mettre à la poubelle les piles qui contiennent du mercure afin de ne pas polluer l’environnement, tout en mettant dans la bouche de dizaines de millions de Français ce métal soupçonné d’être impliqué dans la survenue de maladies neurologiques dont la maladie d’Alzheimer, des pathologies auto-immunes, des malformations de la descendance », commente sur son site l’eurodéputé verte Michèle Rivasi.

La France, cancre européen du mercure

Ce qui a fait changer de cap les autorités françaises ? Un rapport, commandé par la Commission européenne et rendu public en mars dernier. Dans celui-ci, l’Hexagone y apparaît ni plus ni moins comme un cancre en matière d’utilisation du mercure, via les amalgames dentaires... Les 17 tonnes placées annuellement sur les dents des Français représentent ainsi un tiers du volume utilisé en Europe : c’est six fois plus qu’en Allemagne, qui a pourtant 16 millions d’habitants de plus que la France. La Norvège, le Danemark et la Suède ont quant à eux carrément banni les amalgames entre 2008 et 2009, et 18 pays sur 27 consomment moins d’une tonne de mercure par an.

Alors que ses voisins se détournaient des amalgames, que faisait la France ? Elle adressait carrément un avis officiel à la Commission européenne contre l’arrêt programmé des amalgames, justifiant du fait que celui-ci mettrait en danger la santé de la population ! « En France, il est quand même encore officiellement préconisé que le meilleur matériau pour obturer les caries des enfants est l’amalgame ! L’Hexagone continuait à faire de la résistance. Lors des négociations internationales, ses représentants affirmaient que nous avions une position médiane. Mais avec ce rapport, il n’est clairement plus possible de continuer à dire ça : la France apparaît à la marge », commente Geoffrey Begon, délégué général de l’Association « Non au Mercure » Dentaire, qui lance des alertes sur ce dossier depuis 2001.

Collusion entre fabricants, associations dentaires et autorités sanitaires

Isolée, la position de la France semble difficile à justifier... si ce n’est en plongeant dans les arcanes des relations entre Conseil de l’Ordre des dentistes, syndicats et associations dentaires, fabricants d’amalgames et autorités sanitaires, au premier rang duquel l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps – désormais ANSM, pour Agence nationale du médicament et des produits de santé). « Les fabricants et les fédérations dentaires, les premiers finançant d’ailleurs les secondes, se regroupent, créent des think tank et font un lobbying intense lors des négociations internationales pour que les amalgames ne soient pas pris en compte par les efforts à faire pour réduire l’utilisation du mercure », décrypte Geoffrey Begon. « Il est aussi avéré que le porte-parole de l’Afssaps sur ces questions, Michel Goldberg, est un odontologiste (spécialiste de l’étude des dents et de leurs maladies, ndlr) rémunéré par un fabricant de matériaux dentaires et qu’il occupe un poste à la Fédération dentaire internationale... La collusion est très forte à tous les niveaux. »

Les amalgames dentaires bénéficient aussi de leur statut de « Dispositifs médicaux » : pour être en vente, il ne doivent pas nécessairement obtenir une Autorisation de mise sur le marché (AMM), comme pour les médicaments, seuls les fabricants sont responsables de la sécurité de leurs produits. Les preuves à apporter sont minces. Et le sont d’autant plus quand un dispositif médical est utilisé depuis longtemps, ce qui est le cas des amalgames. Pas étonnant, dans ce contexte, que les conclusions successivement rendues par l’Afssaps ne fassent jamais état d’aucun risque en matière d’amalgames...

Les autorités sanitaires court-circuitées

Avec cette nouvelle position de principe, la France, via sa Direction générale de la santé (DGS) [1], a donc court-circuité l’ANSM, qui tardait à actualiser un rapport promis sur les dispositifs médicaux. L’autre surprise, c’est que cette position de principe a été prise entre deux ministères, l’environnement et la santé, scellant la reconnaissance des effets sanitaires nocifs du mercure. « Les pays avancent surtout des arguments environnementaux pour justifier l’interdiction des amalgames », précise Geoffrey Begon.

Quid du calendrier de retrait des amalgames en France ? Il reste à préciser. L’objectif du Plan national santé-environnement 2 (PNSE2) de réduire de 30% les émissions de mercure d’ici à 2013 semble dur à tenir vu le retard pris.

Les alternatives, elles, sont pourtant déjà là : aux côtés des amalgames au mercure, les dentistes peuvent obturer les dents avec des composites (à base de résine composite) et le ciment verre inomère, qui est biocompatible et a des avantages mécaniques intéressants. Reste à enseigner leur pose aux praticiens et futurs praticiens... ainsi que la dépose des amalgames dentaires au mercure. Au-delà des patients, faut-il rappeler que les dentistes paient eux aussi le coût sanitaire de leur exposition au mercure et à ses produits volatils ?