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Economie verte : une aubaine pour sortir de la crise
mardi, 12 juin 2012 / Stéphane Hallegatte /

Economiste de l’environnement au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired) et Météo-France.

, / Eloi Laurent /

Éloi Laurent est économiste senior à l’OFCE/Sciences Po et enseignant à l’université Stanford (Etats-Unis).

, / Patricia Crifo /

Université de Nanterre, Ecole polytechnique

, / Matthieu Glachant /

Mines Paris Tech

Sommet de Rio, débat européen sur la croissance, élections législatives. Autant d’occasions de s’engouffrer dans l’économie verte pour redresser l’emploi, améliorer le bien-être ou favoriser le développement…

Qu’y a-t-il de commun, en ce mois de juin, entre le rendez-vous international de Rio, le sommet de l’Union européenne sur la croissance et les élections législatives en France ? Quel est le trait d’union entre l’enjeu de la gouvernance globale, l’avenir de la construction européenne et les tensions qui parcourent le corps électoral français ? A nos yeux, ces trois échéances appellent les responsables politiques à relever enfin le défi de l’économie verte, à utiliser la contrainte environnementale comme un levier pour le développement, en favorisant l’activité économique et l’emploi, en améliorant le bien-être et en réduisant les inégalités sociales.

Une transition social-écologique peut nous permettre de dépasser la mondialisation à somme nulle, de sortir de la torpeur européenne et d’atténuer le malaise national. La crise que nous traversons n’est qu’en apparence un obstacle à cette ambition : elle signale une transition structurelle qui périme les modèles du passé et donne ainsi l’audace de se poser les bonnes questions et d’avancer des propositions novatrices. Commençons par le niveau global.

Rio+20 : le moment de mettre de nouveaux indicateurs sur la table

Rio+20, vingt ans après le Sommet de la Terre, rassemble chefs d’Etat et sociétés civiles autour d’une idée forte : les crises écologiques contemporaines ne pourront pas être surmontées si l’on n’articule pas développement économique, enjeux environnementaux et question sociale. Mais ce sommet de Rio+20 est menacé par la multiplicité des priorités, la cacophonie des acteurs et les pesanteurs institutionnelles. La France devrait se concentrer sur deux dossiers : la coopération industrielle écologique et la redéfinition des indicateurs de richesse et de progrès social. Sur le premier dossier, l’objectif doit être que tous les pays trouvent leur place dans les nouvelles industries vertes : au lieu de déplorer que la plupart des panneaux solaires soient construits en Chine, il faut rechercher des accords sectoriels internationaux permettant la création et la dissémination des technologies vertes, dans un esprit de co-développement et de partage des retombées économiques.

Mais il importe tout autant de négocier avec les pays émergents un nouveau modèle économique. Il convient pour cela d’engager à Rio une réflexion sur le financement et le cadre institutionnel susceptibles de porter un programme des Nations unies consacré à la mise en place opérationnelle de nouveaux indicateurs de bien-être et de soutenabilité. L’économie verte permettrait de faire de la mondialisation un jeu à somme positive et plus seulement le théâtre de notre inexorable déclin économique au profit des émergents. Elle constitue aussi la nouvelle frontière de la construction européenne.

Dans le cadre des négociations du pacte de croissance proposé par la France à ses partenaires, il faudrait adjoindre à la « culture de stabilité » héritée du traité de Maastricht, trop disciplinaire et pas assez coopérative, une nouvelle « culture de soutenabilité », économique, sociale et environnementale. La construction européenne ne retrouvera du souffle que si elle se donne un nouvel avenir commun et la collection d’instruments techniques aujourd’hui en débat, aussi utiles soient-ils, n’y suffira pas. La transition social-écologique est la stratégie de développement au long cours dont l’Europe a besoin pour se retrouver.

L’écologie : un excellent moyen pour sortir de la crise

Dans ce contexte, la priorité sera de restaurer la compétitivité dégradée des économies de la périphérie, du Sud en particulier, en investissant massivement dans les économies d’énergie et en construisant le grand réseau de renouvelables qui fait défaut à l’UE pour consolider son avantage comparatif écologique et se libérer du piège des énergies fossiles. La logique économique de cette relance écologique de l’Europe nous apparaît robuste : l’UE et plus encore la zone euro sont dans une situation de sous-emploi massif, des taux d’intérêt mutualisés au niveau européen seraient faibles et la perspective d’investissements très rentables s’ouvrirait alors.

Cette relance écologique est en phase avec les choix opérés en parallèle par l’Allemagne, la France et l’Italie de remplacer tout ou partie de leur électricité nucléaire par des énergies renouvelables. Quel meilleur moment pour investir en Europe dans la transition social-écologique ? Quel meilleur objectif que le développement soutenable pour rassembler les pays européens ?

Mondialisation partagée et maîtrisée, réindustrialisation, relance du projet européen

L’enjeu des inégalités environnementales place, pour finir, l’économie verte au cœur du jeu politique national. La France sort d’une campagne présidentielle d’où, a-t-on répété à l’envi, l’écologie aurait été absente, faute d’intérêt du public. Lecture superficielle : la demande écologique des citoyens n’a jamais été aussi forte, mais elle réclame un visage social. Ne sous-estimons pas le rôle des enjeux écologiques dans le contexte politique actuel, notamment la force du vote extrême. La précarité énergétique, les difficultés rencontrées pour se loger, la relégation spatiale du fait d’un immobilier inabordable et de transports inexistants ou trop onéreux sont autant de sujets à l’intersection entre la question sociale, l’enjeu écologique et la vitalité démocratique.

Ici aussi, le chantier social-écologique est considérable mais on peut y distinguer trois priorités : la reconnaissance et la réduction des inégalités environnementales, le développement d’une écologie sociale des territoires et l’investissement dans les « formations vertes » sans lesquelles les emplois verts ne sauraient devenir une réalité durable en France. Mondialisation partagée et maîtrisée, réindustrialisation, relance du projet européen, justice sociale, emploi : voilà les enjeux de l’économie verte. Le discours écologique ne sera audible que s’il propose une stratégie de sortie de crise. La force de l’économie verte est d’offrir une réponse tactique face à la crise et une vision stratégique pour surmonter les limites de nos modes de développement.


A paraître des mêmes auteurs : L’économie verte contre la crise - 30 propositions pour une France plus soutenable, Presses universitaires de France.