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La marine marchande met les voiles vers le commerce équitable
jeudi, 24 mai 2012 / Raphael Baldos

Un deux-mâts pour aller chercher du café bio dans les Caraïbes ? Oui, c’est bien un projet d’aujourd’hui, porté par deux Bretons enthousiastes. Et pour ne rien gâter, ils embarquent des passagers pour leur faire rencontrer les producteurs  !

Café, cacao, fruits, sel, vin, rhum, épices… Telle est l’alléchante liste des produits – qui n’en finit plus de s’allonger, au fil des rencontres avec les producteurs – que vont importer à Morlaix, dans le Finistère, Stéphane Guichen et François Liron. Ces deux Bretons de 41 et 34 ans ont créé au début de l’année CargO2, une entreprise de cabotage à la voile. Leur idée ? Transporter de manière douce des marchandises équitables – en les faisant goûter aux voyageurs – sur un voilier moderne, taillé pour la grosse mer. Il y a un an, leur première cargaison traversait l’Atlantique entre la République dominicaine et la Bretagne, à bord d’un ketch, un voilier à deux mâts, de 13 mètres. 600 kg de café bio en grains et un peu de cacao, dont l’odeur imprègne toujours leur boutique, installée le long des écluses du port de Morlaix. Quatre techniciens, récemment embauchés, s’y affairent. « Nous voulons réintroduire le temps et l’espace dans le commerce », résume Stéphane Guichen. L’ex-commercial, devenu exploitant d’un marais salant en Vendée, en avait assez des allers-retours en camion entre Noirmoutier et Morlaix, où il transformait son sel. « Le transport à la voile évite de polluer et économise du carburant », souligne ce fils et petit-fils de marins.

Rhum des Antilles

Après une carrière en France et à l’étranger, il a choisi de revenir dans sa région natale du Trégor. Un retour au pays qui lui a permis de croiser François Liron. Ingénieur de formation, ce dernier a passé une bonne partie de sa jeunesse à tirer des bords. Deux fois vainqueur du Tour de France à la voile en équipage, il a participé à la construction des bateaux qui se tirent la bourre pour aller chercher le rhum aux Antilles. C’est donc François que l’on retrouve à la manœuvre pour décrire le futur deux-mâts qui ira mouiller du côté des Caraïbes et de la péninsule Ibérique : « Nous avons choisi de le construire en aluminium, parce qu’il sera sur l’eau au moins 300 jours par an, sera incassable et pourra être réparé n’importe où. Il mesurera 28 mètres et possédera une cale de 60 tonnes pour la cargaison. Nous le voulons rapide, fiable et capable d’affronter le mauvais temps. » Le tout made in Breizh.

La construction doit débuter en septembre, pour une mise à l’eau en juillet 2013. « Il fonctionnera avec un équipage professionnel de deux à quatre personnes, et pourra embarquer jusqu’à douze passagers », précise François. Ces derniers paieront pour une croisière iodée jusqu’à la source des produits convoyés par CargO2. « Nous souhaitons que nos passagers rencontrent nos producteurs, cela remplacera tous les labels bios et équitables du monde. Ils goûteront sur place café, cacao, fruits et épices qu’ils retrouveront dans leur magasin, une fois revenus en France », souligne Stéphane. Les deux associés visent « l’excellence écologique » et s’inscrivent « dans un schéma économique artisanal, similaire à ce qui se pratiquait il y a 150 ans à l’échelle de la Bretagne et de l’Atlantique Nord, mais avec une rentabilité à court terme. »

Les pirates rôdent

Preuve que leur business plan tient la mer, Stéphane et François bénéficient de l’appui financier d’un industriel breton de l’éolien, engagé dans la durée. Ils ne préfèrent toutefois pas dévoiler l’ampleur de leur trésor. Le marché est restreint et les pirates rôdent… Ils ont aussi en tête le naufrage – malgré le soutien de l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie – de la Compagnie de transport maritime à la voile, qui s’était lancée en 2007 dans l’exportation de vin français depuis Bordeaux vers la Grande-Bretagne.

« Leur stratégie était trop fragmentaire. Un seul produit, une destination unique. Lorsque la livre sterling a dégringolé de 30 %, leur modèle économique a coulé », se souvient Stéphane. « On se voit vivre avec CargO2 longtemps. On envisage de construire trois à quatre bateaux en cinq ans », s’enthousiasme François. Leur prochaine virée en mer est prévue le 5 juin, pour la Journée mondiale de l’environnement. Cap sur la péninsule Ibérique, avec un 60 pieds du Vendée Globe. Ils rapporteront deux tonnes de spécialités portugaises et espagnoles, qu’ils proposeront lors des rassemblements de voiliers tout au long de l’été pour faire connaître leur projet. L’huile d’olive à l’abordage de la motte de beurre ! —

Impact du projet

Le voilier pourra embarquer 12 passagers

60 tonnes de produits équitables seront importés à chaque trajet