https://www.terraeco.net/spip.php?article43818
Candia fait un peu trop mousser son lait du cru
vendredi, 18 mai 2012 / Alice Bomboy /

Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

Ce lait de proximité, produit et vendu localement dans quatre régions françaises, fête sa première année en rayon. Plus que son éthique, c’est sa com qui nous semble bien rodée.

Il y a un an, le « Lait de ma région », lancé par Candia, déboulait dans les étals des Pays de la Loire, des Pyrénées, des Plaines du Nord et de Rhône-Alpes. Car c’est bien là sa particularité : être produit, collecté, conditionné et distribué à l’échelle d’une même zone géographique. Sur la brique de lait, les producteurs associés à cette démarche sont mis à l’honneur, photo et carte géographique à la clé. Tout sent bon l’herbe pâturée et résonne d’un air léger. On rêvait du bonheur est dans le pré, Candia l’a fait pour nous. Vraiment ?

Sodiaal-Candia, coopérative mastodonte

Pour fêter la première bougie du Lait de ma région et avant de lever un verre (de lait) à cette initiative, Terra eco a eu envie de goûter ce nouveau produit d’un peu plus près. Car un point nous tracassait : Candia est tout de même l’une des marques de Sodiaal, la première coopérative laitière française. Coopérative, certes, ce qui signifie qu’elle appartient aux producteurs de lait adhérents. Mais elle n’a rien de la petite structure créée dans la vallée près de chez vous, par quelques dizaines d’éleveurs associés pour vendre leur production en direct au consommateur. Sodiaal est un mastodonte, 5e groupe laitier européen. Il regroupe 13 000 producteurs, réalise 4 milliards d’euros de chiffres d’affaires en collectant 4,1 milliards de litres de lait. On en boirait presque la tasse. Et on sourit, en lisant au dos de la brique les valeurs du monde coopératif que Sodiaal ne manque pas d’égrener.

En 2009, en pleine crise du lait, Sodiaal faisait bien, elle aussi, partie des « industriels » sur les pieds desquels les éleveurs à bout de souffle déversaient des litres de lait en signe de protestation. Les raisons de leur colère ? Une baisse de prix sans précédent, de près de 90 à 105 euros pour 1 000 litres de lait, soit moins 30%. Dans le même temps, les produits de grande consommation écoulés en France, qui constituent 50% du débouché du lait français, affichaient une hausse des prix de 6% à 10% ! Et les charges des éleveurs ont, elles, entre 2006 et 2009, augmenté de 25%… En d’autres termes : avec de tels prix, les éleveurs travaillent, ne gagnent pas d’argent, et en perdent même ! Les conséquences, on n’en parle pas assez : en France, chaque année, entre 400 et 800 agriculteurs mettent fin à leur jour.

La solution de la vente directe et locale

Pour sortir de cet engrenage dans lequel ils n’ont plus le pouvoir, quelques producteurs s’unissent en associations régionales, vendant leur lait en direct aux consommateurs. Un produit local, qui recrée du lien entre éleveurs et consommateurs, ça ne vous rappelle rien ? Exactement le créneau sur lequel surfe aussi le Lait de ma région de Candia. Se faire couper l’herbe sous le pied par les « grands » n’a rien de nouveau. « En 2007-2008, avec d’autres producteurs, nous avions eu l’idée de lancer un lait “made in” Pays de Fougères, la région de Bretagne où nous travaillons. Il aurait été fabriqué et consommé localement. On aurait par la suite pu décliner ça dans plusieurs régions. Quand nous avons exposé ce projet aux politiques locaux, ils n’ont rien compris », raconte Denis Jehannin, vice-président de l’Association des Producteurs de Lait Indépendants. « Mais six mois plus tard, le “Lait d’ici” sortait, lancé par la Fédération nationale des producteurs de lait et Orlait (qui fédère les entreprises du lait, dont Coralis, Sodiaal…). On s’est fait voler le concept. Il aurait fallu le déposer. Maintenant que les industriels ont pris l’idée en main, c’est trop tard ».

Chez Candia, on est effectivement convaincu que le « régionalisme laitier » a du bon. « Cette gamme a été lancée pour répondre à un besoin des consommateurs de savoir d’où viennent leurs produits, de savoir que le lait qu’ils achètent très régulièrement a été produit, collecté et transformé à côté de chez eux. L’idée était aussi de proposer un lait régional qui a la caution d’une marque nationale, Candia. C’est important en terme de notoriété, car quand un nouveau produit arrive en rayons, le consommateur ne sait pas d’où il vient, qui le produit, donc il repère aussi le produit en rayons parce qu’il porte le logo », explique Charlotte de Bayser, chef du projet Lait de ma région.

Porteur, le concept l’est donc plus que tout en terme de marketing. Quid des « producteurs de ma région », qui affichent leur trombine sur la brique de lait ? Là, on s’emmêle un peu les pinceaux. « On a mis en place des animations en magasins où les producteurs concernés par le produit viennent répondre aux questions des consommateurs », poursuit la chef de projet Candia. Mais dans le même temps, impossible de dire combien de producteurs sont associés à la démarche… « On s’assure que ce lait vient du département, mais vous dire qu’il vient de tel ou tel producteur, c’est difficile », explique-t-elle. Le lait, identifié comme produit dans les départements concernés, est en effet collecté globalement par Candia. Une petite partie seulement est dédié au Lait de ma région », le reste à d’autres produits. Où l’on en revient à l’idée de « coopérative », version Candia : pour la proximité chantée entre producteurs et consommateurs, on repassera.

La brique Lait de ma région » est en moyenne vendue 0,79 euro le litre. Un peu moins que celle de « Grand Lait », le classique de Candia (0,85), gain de coût de transport oblige. Quid du prix reversé à ces producteurs locaux ? Impossible de le connaître, « pour raisons commerciales ». Ce qui est sûr, c’est qu’être éleveur pour le Lait de ma région ou pour le plus classique des laits Candia ne change rien à la rémunération. « Il n’y a pas de contrepartie individuelle [à un engagement dans cette démarche] car le principe de la coopérative, c’est l’équité des paiements des producteurs et la solidarité. Tout ce qui permet d’améliorer la valorisation de la coopérative bénéficie à l’ensemble des producteurs, et pas davantage à certains et pas à d’autres », explique Gwenaëlle Garnier, membre de la Direction du développement coopératif de Sodiaal Union.

Le prix moyen du litre de lait payé aux producteurs en France au deuxième trimestre 2012 est de 32,6 centimes, d’après l’observatoire des marchés de Web Agri. Ce qui donne une idée du prix auquel le lait est acheté par Candia. Depuis la crise de 2009, les producteurs continuent pourtant de réclamer un minimum à 40 cts. « C’est celui qui nous permet de vivre de notre travail. Les prix ont un peu augmenté après la grève, mais nos charges sont toujours plus importantes », confirme Denis Jehannin, de l’Association des producteurs de lait indépendants (Apli).

Candia n’est cependant pas indifférent au sort des producteurs laitiers. « Nous essayons de développer de nouvelles offres, de valoriser nos produits, pour que le consommateur comprenne que le lait a un coût et ce qu’est un juste prix », répond Charlotte de Bayser. Et en dehors de l’équation « j’augmente les volumes écoulés = je compresse mes charges et je peux éventuellement mieux payer les producteurs », la grande coopérative solidaire soutient-elle aussi humainement ses adhérents dans une passe difficile ? Le mot « soutien psychologique » les fait sourire. « Ce n’est pas notre rôle ni notre vocation », rétorque-t-on.

Alors, la première bougie du Lait de ma région », on la souffle ? Pas vraiment. Mais celle de la communication qui sait noyer le poisson dans le lait, on peut par contre y aller à pleins poumons. Cette brique-là, en restant locale, fait au moins du bien à l’environnement. Mais le Lait de ma région » n’est au final rien d’autre que du lait Candia… sur lequel on a collé une photo de producteur.


Avis de l’expert : 2,5/5

Gildas Bonnel, consultant en communication responsable

« La traduction publicitaire du concept n’est pas mauvaise. Mais la stratégie marketing qu’il y a derrière pose problème : la marque tente un grand écart entre sa réalité industrielle et l’offre produit, à un moment où le consommateur est particulièrement sensible au made in France, à la notion de terroir. La promesse marketing ne répond pas à ce que le consommateur est en droit d’attendre d’un tel produit en termes d’impact sur l’emploi et la qualité de vie des éleveurs dans la région. L’utilisation de l’argument local est abusive. »

- Le site de Blog Adwiser