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Agrocarburants : « Leur impact sur l’effet de serre est catastrophique »
vendredi, 11 mai 2012 / Patrick Sadones /

Paysan de Seine Maritime et membre de la Confédération paysanne.

Peu rentables, dépendant de cultures importées, les agrocarburants n’aident même pas à lutter contre le changement climatique, estime Patrick Sadones, paysan en Seine Maritime.

Bien qu’envisagée depuis plus d’un siècle pour les moteurs d’automobiles, la production d’agrocarburants ne s’est développée qu’à la fin du vingtième siècle. D’abord au Brésil avec l’éthanol de canne à sucre utilisé comme carburant à partir du premier choc pétrolier, puis en Europe, à l’occasion de la réforme de la PAC (Politique agricole commune, ndlr) de 1993. Dans un contexte de surproduction agricole par rapport à la demande solvable, la production d’agrocarburants, nouveau débouché pour les produits agricoles et nouvelle fonction sociale pour une agriculture dont les impacts sur l’environnement étaient de plus en plus décriés, est apparue pour les agriculteurs comme une opportunité à ne pas laisser passer. Entre temps, les Etats-Unis ont fortement développé la production d’éthanol de maïs, au point d’être aujourd’hui devenu le premier producteur mondial d’éthanol, au prix de la mobilisation de plus de 40% de la récolte de maïs du pays.

Sous couvert d’amélioration de notre indépendance énergétique, puis de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur des transports routiers, des objectifs contraignants d’incorporation ont été décidés au niveau français ( Plan « Bio »carburants de 2003) puis européen, avec en décembre 2008 l’adoption par le Parlement européen de la directive « Energies Renouvelables » qui fixe un objectif de 10% d’incorporation d’agrocarburants en valeur énergétique (éthanol dans l’essence, esters méthyliques d’acides gras dans le gasoil).

Des agrocarburants pas si propres

Dès 2006, la Confédération paysanne a contesté la validité des études établissant que le développement des agrocarburants était pertinent en terme d’indépendance énergétique et de réduction des émissions de GES, et tout particulièrement l’étude Ademe–Direm 2002, alibi « scientifique » du plan « Bio »carburants de 2003. Aujourd’hui, l’analyse de la Confédération paysanne, qui s’est enrichie suite à la participation d’un de ses militants au comité technique des études Ademe – Bio IS de 2008 et 2010, est très largement partagée dans le monde associatif et dans la communauté scientifique. L’impact des agrocarburants sur l’effet de serre apparaît particulièrement catastrophique dès lors qu’est pris en compte dans l’établissement de leur bilan effet de serre le Changement d’affectation des sols (CAS) que leur développement génère, soit directement, si la production des matières premières agricoles s’effectue derrière défriche ou retournement de prairies, soit indirectement, par déplacement d’une production alimentaire antérieure qu’il faut bien produire ailleurs. En France, deux familles d’agrocarburants se sont développées, sous l’impulsion d’opérateurs industriels différents :

- L’éthanol, qui se substitue à de l’essence, soit en mélange direct, soit sous forme d’un dérivé, l’ETBE, constitué à 47% d’éthanol. En France, l’éthanol est produit à partir de betterave à sucre, de blé ou de maïs. L’efficacité énergétique avec laquelle il est obtenu est voisine de 1 (1 MJ d’éthanol obtenu par MJ fossile mis en œuvre), ce qui fait que chaque baril de pétrole « économisé » grâce à l’éthanol coûte aujourd’hui plus de 400 euros à notre balance commerciale… Dit autrement, un plein de 60 litres d’éthanol (correspondant à 40 litres d’essence seulement) nécessite la mise en œuvre de 160 kilogrammes de blé (soit l’équivalent de 750 baguettes de 250 grammes) ceci pour n’économiser en réalité en carbone fossile que l’énergie contenue dans 8,3 litres d’essence, avec la coproduction de 50 kg de drêches de blé qui pourront être utilisées en alimentation animale…

Les filières métropolitaines de production d’éthanol ne subsisteront qu’à la triple condition que les producteurs agricoles se satisfassent durablement d’un prix nettement plus bas que sur le marché alimentaire, que les automobilistes continuent d’accepter de payer l’éthanol aussi cher que l’essence pour une densité énergétique pourtant plus faible d’un tiers, et que l’Etat continue de subventionner la filière à un niveau élevé, via la « défiscalisation », part de la TIC que les automobilistes paient à la pompe mais que l’Etat reverse en complément de prix pour l’éthanol. Celle ci représente aujourd’hui les 2/3 du prix de la betterave éthanol payé aux planteurs, et la moitié du prix du blé ou du maïs payé aux coopératives qui se sont imprudemment engagées à livrer les usines. A cela s’ajoute évidemment la nécessité d’une protection aux frontières très efficace, empêchant les importations d’éthanol de canne à sucre produit avec une efficacité énergétique beaucoup plus élevée ( jusqu’à 10 sortie distillerie…)

- Les esters méthyliques d’acides gras, principalement d’huiles végétales (EMHV de colza et de tournesol, avec sur ce secteur un quasi monopole de SOFIPROTEOL avec son Diester®), et depuis 2010 de graisses animales et d’huiles alimentaires usagées, comptant double pour le calcul du degré d’atteinte de l’objectif d’incorporation, ceci en vertu de la directive européenne de 2008. Les EMHV peuvent se prévaloir d’une efficacité énergétique légèrement supérieure à 2. Ce qui permet de mieux rémunérer les agriculteurs et de moins dépendre de la « défiscalisation » qui ne représente aujourd’hui plus que 8 centimes par litre d’ester, soit 38 euros par tonne de graines de colza, environ 8% du prix payé aux producteurs.

Toutefois, l’équilibre de la filière dépend de la bonne volonté des utilisateurs (automobilistes, transporteurs routiers et maintenant agriculteurs, depuis l’obligation qui leur est faite d’utiliser le GNR pour leurs tracteurs) à continuer d’accepter de payer le contenu énergétique des esters méthyliques 40% plus cher (hors fiscalité) que celui du gasoil… Et bien sûr, une solide protection aux frontières reste indispensable, pour empêcher les importations de substituts du gasoil, et notamment celui produit avec une meilleure efficacité énergétique que le Diester® à partir d’huile de palme par Neste Oil, avec un procédé différent de l’estérification développée en France, ce que jusqu’à présent SOFIPROTEOL est toujours parvenu à obtenir du pouvoir politique. Reste qu’en terme d’indépendance énergétique, le compte n’y est pas : l’estérification de 100 tonnes d’huile de colza et l’utilisation des esters produits en carburation automobile permet certes d’économiser 71 tonnes équivalent pétrole de carbone fossile, mais cela coûte 100 tonnes d’huile, qu’il faut soit importer, soit renoncer à exporter. Notre balance commerciale n’a rien à y gagner ! La tonne d’huile végétale s’échange en effet autour de 1000 euros, alors que la tonne de pétrole n’en est qu’à 570 euros… En 2012, l’objectif d’incorporation de 7% d’esters méthyliques d’acides gras dans le gasoil coûtera au bas mot, s’il est atteint, plus de 1,5 milliard d’euro à notre balance commerciale !

L’Europe dépend fortement des importations

Car c’est bien ainsi que la question doit être posée. L’ONG « Les Amis de la Terre » vient en effet de réaliser une étude sur l’impact du développement des esters méthyliques d’huile en terme de dépendance de l’Europe des 27 vis à vis des importations d’huiles végétales (sources : USDA) : en 2001, la consommation d’huiles végétales en Europe a été de 13,3 millions de tonnes, dont 0,27 pour la fabrication d’agrocarburants. Les importations nettes représentaient 6,2 millions de tonnes, sous forme d’huile ou de graines oléagineuses. En 2010, la consommation avait bondi à 21,8 millions de tonnes, dont 8,1 pour les agrocarburants. Les importations nettes représentaient 9,9 millions de tonnes.

En dix années, le développement de l’utilisation des agrocarburants a creusé le déficit structurel de l’Europe en matières grasses végétales, ceci essentiellement au profit des importations d’huile de palme, passées de 2 à 5,4 millions de tonnes sur la même période, avec les conséquences que l’on sait en terme de santé publique, et d’accaparement des terres dans les pays du Sud, au mépris des systèmes agraires traditionnels et de la biodiversité naturelle.