https://www.terraeco.net/spip.php?article43562
Business et écologie : la carotte l’emporte sur le bâton
mardi, 8 mai 2012 / Alexandra Bogaert

Il y a peu, pour faire pression sur une marque, on boycottait. Désormais, les consommateurs se mobilisent pour verser de l’argent à une entreprise engagée dans le développement durable. Une stratégie qui gagne du terrain en France.

Qu’est-ce qui est bon pour la planète et qui rend aimable ? Ce n’est pas une devinette Carambar. C’est un carrotmob. Un quoi ? Une nouvelle forme de mobilisation collective qui a le mérite d’être fun et positive. Un militantisme du XXIème siècle, qui utilise les codes de la société capitaliste pour, au nom de la défense d’une meilleure façon de consommer, promouvoir le « buycott » (de l’anglais to buy = acheter) au lieu du boycott.

Le concept vient de San Francisco. Il a été développé par Brent Schulkin, un Américain, en 2008. Nous vous en avions déjà parlé à l’époque (lire l’article). Il s’agit de rassembler, via les réseaux sociaux (twitter et Facebook notamment), un maximum de personnes d’accord pour dépenser de l’argent à une date dite, dans un lieu donné. En retour de ce soutien, le commerce, bar ou restaurant, s’engage au préalable à réinvestir tout ou partie des bénéfices dans une action de développement durable. Il peut s’agir de soutenir une action sociale ou, comme c’est le plus souvent le cas, d’investir la somme récoltée dans des travaux visant à rendre le bâtiment plus écologique.

Comment fonctionnent les carrotmobs ? Le principe en dessin animé

A ce jour, quelque 200 carrotmobs ont été organisés à travers le monde, d’Hawaï à Singapour en passant par Dallas, Birmingham, Anvers, Berlin et Monaco.

En France, les carrotmobs auraient pu râper

Le premier carrotmob français a été organisé le 1er mai 2010 dans un bar de Rochefort-sur-mer, à l’initiative de Florian Guillaume.

Alors étudiant en BTS communication, et tombé « par hasard » sur le site de Brent Schulkin, il contacte le Californien qui le conseille à distance sur l’organisation de l’événement. « Avec deux camarades de classe, on a réussi à faire venir 250 personnes, de quoi permettre au bar de troquer ses lumières pour des ampoules basse consommation et d’investir dans un frigidaire moins gourmand en énergie », explique-t-il.

Florian est aujourd’hui le fondateur de la communauté française des carrotheroes (ceux qui organisent les carrotmobs) et des carrotlovers (ceux qui y participent), organisée en association. En 2011, il a organisé trois autres événements dans des bars rennais. Le café Cortina, par exemple, a pu récolter en une soirée les 2 000 euros nécessaires à l’achat d’un système calorifique permettant de redistribuer la chaleur de la cuisine vers la salle.

Au final, les carrotmobs ont trouvé leurs fanes

Mais le véritable lancement hexagonal de cet activisme consumériste new look remonte au 6 avril dernier. Ce jour-là, quelque 1 000 fêtards se sont déplacés à La Bellevilloise, café, restaurant et salle de spectacle de la capitale. « Ça en a fait le plus gros carrotmob du monde », se félicite Florian Guillaume. Comme quoi, la stratégie de la carotte au lieu de celle du bâton fonctionne.

« C’est un modèle gagnant-gagnant : les commerçants y gagnent en image et en notoriété et les bobos connectés, déjà convaincus de l’intérêt de la démarche en tant que “consomm-acteurs”, sont ravis de faire le buzz pour un tel événement », analyse-t-il. Reste maintenant à convaincre tous les consommateurs.

La Bellevilloise a récolté en une soirée 10 000 euros, qu’elle a commencé à réinvestir dans des travaux de restructuration, suggérés par Bastien Untrauer, l’auditeur écologique de l’association Carrotmob : remplacement des fenêtres de la façade par du double vitrage qui isole mieux et protège des UVA et UVB, isolement du plafond, changement des luminaires.

Un suivi de près pour ne pas se faire carotter

« J’avais proposé qu’on fasse des toilettes sèches mais les organisateurs du carrotmob m’ont expliqué que c’était pas tellement glamour », rit encore Philippe Jupin, directeur associé de la salle. Il avait déjà en tête de « développer de plus en plus l’écologie », mais « c’est cher » (60 000 euros en tout, pour les différents chantiers).

Alors le sacré coup de pouce de la carrot community est tombé à point nommé. « En somme, au lieu d’avoir recours à l’Etat pour financer leurs travaux, les entreprises peuvent désormais s’adresser aux citoyens », commente Bastien Untrauer. Un suivi des travaux est assuré, pour éviter que l’argent des citoyens ne soit utilisé à d’autres fins.

De nouveaux événements sont déjà inscrits à l’agenda de plusieurs villes de France. A partir du 19 mai, à Audierne, dans le Finistère, un croisiériste proposera pendant un mois un tarif avantageux aux carrotmobbers et investira les fonds dans une hydrolienne pour remplacer le moteur à essence de son bateau. Rennes (en juin) puis Nantes, Paris, Toulouse et Strasbourg accueilleront à leur tour des événements en septembre et octobre prochains.

Le concept essaime « parce qu’il est vraiment dans l’air du temps », estime Florian Guillaume. « Les homoeconomicus que nous sommes avons besoin d’actes positifs, qui rendent optimistes. Et qui sait si, à terme, ces petites actions ne seront pas aussi efficaces que les grandes campagnes de boycott ? »