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Coût du travail : La France a-t-elle perdu son match contre l’Allemagne ?
lundi, 30 avril 2012 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Un nouveau rapport confirme que l’Allemagne fait mieux que la France sur le coût du travail. L’économiste Alexandre Delaigue nous aide à lire entre les statistiques.

- Alexandre Delaigue est professeur d’économie à Saint-Cyr et co-auteur du blog Econoclaste.

Les dernières statistiques publiées par Eurostat confirment une tendance en cours depuis dix ans. Le coût du travail augmente plus vite en France qu’en Allemagne. Est-ce inquiétant ?

J’invite d’abord à ne pas prendre ces statistiques au pied de la lettre. D’abord parce que le coût du travail varie beaucoup selon les secteurs. Ensuite, parce qu’il n’est pas forcement un très bon indicateur de compétitivité. Ce n’est pas parce que la coupe de cheveux coûte moins cher à Munich qu’à Toulouse que l’Allemagne est plus compétitive que la France ! Il n’est en fait un bon indicateur que pour les biens échangeables, et pas pour les services. Et troisièmement parce que la compétitivité ne dépend pas seulement du coût du travail, mais aussi de bien d’autres critères. Elle dépend aussi de la productivité des salariés, du marché du travail... Toutefois, avec toutes ces précautions, on remarque que l’Allemagne a réussi à augmenter sa productivité tout en n’augmentant que peu le coût de sa main d’œuvre depuis dix ans. Elle continue dans cette lancée, alors que la France fait plutôt l’inverse. Cela crée peu à peu un décalage de compétitivité entre les deux pays, ce qui est regrettable. ­

Cela veut dire qu’aujourd’hui, une entreprise qui exporte beaucoup préfèrera s’installer en Allemagne plutôt qu’en France ?

Non. Par contre, cela veut dire que Volkswagen a un avantage sur Peugeot.

Pourquoi la France prend-elle du retard ?

Les raisons sont très nombreuses mais je note que l’Allemagne a réussi à mettre en place ce que l’on appelle des chaînes de valeur, en délocalisant certaines parties de sa production notamment dans les pays d’Europe de l’Est. Les étapes finales et l’assemblage sont fait en Allemagne, donc le produit final est made in Germany et plus compétitif. La France, elle, n’a pas réussi à faire de même et on le retrouve dans ces statistiques.

Au-delà des cas français et allemand, on note de fortes disparités dans toute l’Europe. Est-ce inquiétant alors que la zone économique est en crise ?

C’est ce qui est le plus inquiétant dans ce rapport à mon sens. Il y a aujourd’hui deux Europe, l’une du centre et l’autre de la périphérie. On aurait pu croire qu’un ajustement se ferait entre les pays mais c’est en fait l’inverse qui se produit. Les pays qui ont déjà une balance commerciale négative (c’est-à-dire qu’ils importent plus qu’ils n’exportent, ndlr) voient leur coût du travail augmenter encore, alors qu’il devrait baisser. Et vice-versa.

Peut-on inverser le raisonnement, et dire que c’est l’Allemagne qui devrait cesser de parier sur les bas salaires comme le jugeait l’Organisation internationale du travail en janvier ?

On peut envisager que l’Allemagne soit, à terme, amenée à augmenter les salaires, pour des raisons sociales. Mais c’est un processus très long et, surtout, on ne peut pas reprocher à l’Allemagne d’avoir fait le choix de tels ajustements. A mon avis, c’est à la France de prendre des initiatives. Le choix est assez simple. Soit la France améliore sa productivité, soit elle réduit le coût de son travail.

Quelles initiatives peuvent-elles être prises ?

Il y a énormément de propositions dans les cartons. Elles sont discutées et font largement débat chez les économistes. Le problème c’est que les économistes n’ont pas du tout été écoutés depuis 5 ans, alors que les avis divergent, et que c’est aux dirigeants de trancher. Le Conseil d’analyse économique, par exemple, a produit de nombreux rapports mais n’a jamais été suivi. Seule la TVA anti-délocalisation (mieux connue sous le nom de « TVA sociale ». Elle consiste en une baisse des cotisations patronales financée par une augmentation de la TVA et de la CSG, la contribution sociale généralisée, sur le patrimoine, ndlr) a été mise en place. Seulement c’est un fusil à un coup et celui-ci a déjà été tiré.

Il faudrait viser des mesures qui permettent d’avancer en matière d’efficacité économique. Je pense à la réforme du contrat de travail, pour mettre fin au grand écart entre le CDD et le CDI. On parle aussi de changer la réglementation sur les licenciements. Actuellement c’est la justice qui décide si un plan social est acceptable ou non. Certains proposent d’imposer plutôt un coût forfaitaire par licenciement. Rien de tout ça n’a été évoqué. On a raté la question de la compétitivité pendant le quinquennat mais aussi pendant la campagne. A ce titre, il est totalement faux de rejeter la faute sur les 35 heures, comme on l’entend depuis quelques semaines. Je rappelle tout de même que sur les trois dernières années, le pays qui a connu la plus forte hausse des coûts salariaux c’est la France.