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Les emplois verts peuvent nuire à la santé
vendredi, 27 avril 2012 / Alexandra Bogaert

Verdir l’économie, une formidable opportunité pour renforcer la sécurité des travailleurs ? Certes, mais le virage écolo fait émerger de nouveaux risques professionnels. Car si l’emploi peut être « vert », les technologies ne le sont parfois pas du tout. Revue secteur par secteur.

C’est l’en vert du décor. Prendre le virage d’une économie verte est l’un des défis majeurs du 21e siècle, mais cela se fait parfois au détriment de la santé des travailleurs. C’est ce message qu’entend bien faire passer l’Organisation internationale du travail le 28 avril, à l’occasion de la Journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail. Le thème de 2012 est « Promouvoir la sécurité et la santé dans une économie verte ». Un engagement que l’OIT a pris dès 2007. Mais qu’il est bon, cinq ans plus tard, de renouveler.

L’homme, grand oublié des progrès environnementaux au travail ?

Car « l’environnement a oublié d’intégrer l’homme au travail », constate à regret Philippe Jandrot, directeur des applications (assistance, formation, information) à l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). Les changements réglementaires nécessaires à la transition vers une économie verte se déroulent souvent dans un temps court, parfois sous la pression médiatique. Et les nouvelles normes, appliquées à marche forcée, peuvent être établies sans évaluation préalable de leur impact sur la protection des travailleurs.

Or, comme l’indique le Code du travail français, il faut « adapter le travail à l’homme » et non l’inverse.

D’où la nécessité de considérer les « emplois verts » dans toutes leurs dimensions. Selon la définition qu’en donne l’OIT, il s’agit d’ « emplois convenables offrant des salaires adéquats, des conditions de travail sûres [...] en contribuant directement à diminuer l’impact environnemental de l’économie en général, en réduisant la consommation d’énergie et de ressources, les émissions, les déchets et la pollution ».

Un rapport, publié ces jours-ci par l’OIT et dont le but est avant tout d’alerter sur les problèmes liés aux emplois verts - sans remettre en cause leurs nombreux aspects positifs - précise que « les travailleurs occupant des emplois verts peuvent être confrontés à des risques courants sur les lieux de travail traditionnels. Mais ces risques peuvent aussi être nouveaux pour les nombreux travailleurs qui font leurs premiers pas dans les industries vertes à croissance rapide. En outre, il se peut que les travailleurs soient exposés à de nouveaux risques, qui peuvent ne pas avoir été préalablement identifiés ».

C’est ce que montre ce tour d’horizon, secteur par secteur.

PEINTURES, PRESSING : DES PRODUITS DE SUBSTITUTION QUI INQUIETENT

Le remplacement de certaines substances nocives pour l’environnement par d’autres plus « respectueuses » se révèle plus dangereux pour la santé les travailleurs.

« Depuis une quinzaine d’années, on cherche à éliminer les substances cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques qu’on trouve dans les emballages, la peinture, les cosmétiques », explique Daniel Ribera, toxicologue et gérant de Bio-Tox, organisme spécialiste des risques sanitaires et environnementaux. « On a vu donc apparaître des produits de substitution, mais sans qu’on ait évalué au préalable les risques qu’ils pouvaient faire courir aux travailleurs. On a déplacé le risque », poursuit-il.

Le risque ne disparaît pas, il change

« Ainsi, pour remplacer les peintures à base de solvants par des peintures hydrodiluables (qui se diluent dans l’eau, ndlr), il faut ajouter des biocides (destinés à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles par une action chimique ou biologique, ils peuvent avoir des effets nuisibles sur l’homme, ndlr). De même, le remplacement des hydrochlorofluorocarbones (utilisés dans les équipements de froid artificiel et responsables de l’accroissement de l’effet de serre, ndlr) par des chlorofluorocarbones accroît le risque d’exposition à des substances cancérogènes et d’incendie », note le rapport de l’OIT.

Même schéma avec les solvants de dégraissage. On utilisait auparavant des solvants chlorés, pas inflammables mais polluants. La réglementation veut que les travailleurs utilisent désormais des solvants pétroliers, qui n’ont pas les mêmes caractéristiques nocives pour l’atmosphère mais qui exposent les travailleurs à un risque d’incendie.

Dans les pressings, de mal en pis ?

L’exemple le plus récent d’une modification de la réglementation dans le but de protéger l’environnement, mais qui peut créer de nouveaux risques, est celui du perchloréthylène. Ce puissant neurotoxique est utilisé pour le nettoyage à sec dans les pressings. La Direction générale de la santé vient d’annoncer qu’il devra disparaître progressivement des laveries jusqu’à son bannissement complet en 2022.

Problème : « Les hydrosilanes proposés en substitution sont des substances surveillées, dont on ne sait si elles sont réellement nocives, pour quels organes et à quel point », explique le directeur de l’INRS. Pour Daniel Ribera, c’est tout vu : « Ces produits sont encore plus dangereux que ceux auxquels ils doivent se substituer. On va pouvoir mettre le label « sans perchlo », comme c’est déjà le cas sur les produits « sans paraben » ou « sans bisphénol A » sans se poser la question des risques que font courir les produits de substitution aux travailleurs. Pour moi, c’est du greenwashing pur et simple. »

RECYCLER ET TRAITER LES DÉCHETS, UNE ACTIVITÉ TOXIQUE

C’est l’un des secteurs boostés par le développement d’une économie verte : le recyclage des déchets embauche et s’industrialise. C’est bon pour les paysages, pour les sols, pour l’air. Sauf que… « les nouveaux matériaux et produits, lorsqu’ils sont collectés sous la forme de déchets, peuvent présenter une multitude de risques professionnels, qu’il s’agisse des nanomatériaux, des nouveaux types de substances chimiques ou de l’augmentation permanente des déchets électroniques », note l’OIT dans son rapport.

Prenez par exemple les néons, les écrans d’ordinateur, les tubes cathodiques. Ils comportent du mercure, du cadmium, des terres rares. Autant de matériaux toxiques pour la santé des travailleurs qui les prélèvent et les trient. Et auxquels ils sont donc directement exposés. « Sans compter le fait que le tri de déchets défilant en continu sur une chaîne, leur impose une cadence soutenue et des gestes répétitifs, sources de troubles musculo-squelettiques », explique Philippe Jandrot.

Des perspectives d’emplois, certes, mais une sécurité qui laisse à désirer

Transformer nos déchets en source d’énergie, c’est aussi une activité industrielle en plein essor, et pourvoyeuse d’emplois. Selon le Grenelle de l’environnement, 50% du développement des énergies renouvelables devraient à terme provenir de la biomasse. La filière pourrait embaucher 65 000 personnes. Voilà qui est donc bénéfique pour l’ensemble de la société comme pour l’environnement. Mais si cela pouvait l’être aussi pour ces milliers d’hommes et de femmes qui travaillent à transformer nos restes en compost, en électricité ou en biogaz, l’équation serait parfaite.

C’est là qu’arrive non pas le grain de sable, mais carrément le pâté. Ces professionnels vont être exposés à des risques comme l’explosion, l’exposition aux poussières de bois, aux émanations de gaz. Nos déchets en décomposition génèrent de l’ammoniac, des endotoxines et des mycotoxines qui peuvent être cancérogènes.

« A ce jour, dans les usines, les travailleurs ne sont pas assez protégés contre ces émanations. Ils ne portent pas de masque de manière continue car travailler des heures avec un masque est impossible. Il faut donc réfléchir à l’organisation du travail dans la structure, pour limiter les temps d’exposition », estime le responsable de l’INRS. Et aussi investir dans des capteurs de polluants. Cela représente certes un coût pour l’employeur, mais c’est celui de la santé.

Cette vidéo de l’Anact montre comment se construit la réflexion autour de la conception d’un centre de traitement des déchets qui respecte la sécurité des travailleurs. C’est un peu long, mais instructif...
Concevoir un site de traitement de déchets par anact

ENERGIES PROPRES : LA SÉCURITÉ, C’EST PAS DU VENT

« Avec un objectif de 8000 éoliennes sur le territoire français en 2020, l’effectif actuel de 15 000 salariés devrait être multiplié par quatre dans la même période », note l’INRS dans une brochure.

Les personnes chargées de l’installation et de la maintenance doivent être protégées des risques d’électrocution et de chute. De plus, un employé qui grimpe en haut des quelque 80 mètres du pylône d’une éolienne, muni de sa caisse à outils, et alors que la température atteint facilement les 40 degrés, a intérêt à avoir le cœur bien accroché. Les services de santé au travail ont déjà relevé des cas de malaise et d’épuisement liés à ces efforts physiques intenses.

On rencontre les mêmes types de risque de chute (il y en a eu 31 mortelles entre 1992 et 2006 selon l’INRS) et d’électrocution chez les personnels qui installent les panneaux solaires (photovoltaïques ou thermiques) sur les toits des bâtiments.

Même les pompiers se mettent en retrait

Parce que de l’électricité circule dès que les cellules photovoltaïques sont au contact de lumière, les services incendie de certains départements ont indiqué qu’ils n’interviendront plus sur des bâtiments en feu quand ceux-ci sont couverts de panneaux solaires. Une solution pourrait être de trouver un système pour couper l’alimentation des panneaux sur commande, même en plein jour. « C’est une question qui se traitera au niveau européen. Mais ça prendra des années », explique Philippe Jandrot.

Mais pour les panneaux solaires, les risques émergent dès la phase de fabrication : « Plus de 15 matériaux dangereux sont utilisés dans la fabrication de ces panneaux. De nombreux risques peuvent découler de l’utilisation de substances chimiques conjointement avec du silicium dans de nombreux procédés de fabrication. La fabrication de cellules photovoltaïques implique également l’utilisation de plusieurs agents de nettoyage potentiellement toxiques. », selon l’OIT.

Après le moteur à explosion, la batterie à électrocution…

Les voitures électriques, hybrides ou dotées du système Stop & Go réduisent la pollution atmosphérique. De ce point de vue là, elles ont donc tout bon. Mais depuis que ces automobiles se font une place sur les routes, apparaissent de nouveaux risques pour ceux chargés de leur maintenance ou de leur réparation : l’électrocution. Car elles ont sous le capot des condensateurs d’énergie puissants (3 à 4 kW) qui nécessitent de trouver des systèmes de manutention spécifiques, pour éviter que les garagistes n’y laissent les doigts, voire plus. Systèmes auxquels les constructeurs automobiles, pressés d’être en pôle position sur le marché, n’ont bien sûr pas songé en amont…

L’AGRICULTURE DURABLE A-T-ELLE TOUT BON ?

Dans la mesure où le développement de l’agriculture biologique durable réduit considérablement, voire totalement, l’exposition des agriculteurs aux pesticides, cela ne peut être que bénéfique pour leur santé, celle des consommateurs et pour l’environnement.

Soucieuse également de protéger la nature et les mangeurs, l’agriculture commerciale a trouvé une autre parade pour se passer des produits agrochimiques : le recours aux OGM, qui rendent les cultures résistantes aux insectes. Certes, « l’intégration de la biotechnologie agricole » a réduit l’exposition des agriculteurs aux pesticides, note l’OIT. Mais « peu de recherches ont été menées sur les répercussions sur la sécurité et la santé des travailleurs impliqués dans la production agricole et la manutention, le traitement et le stockage des OGM ». Un nouveau grain de suspicion envers les OGM...