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« On a assisté à une campagne de bourgeois qui s’ennuient »
jeudi, 19 avril 2012 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Alors que s’achève la campagne, Terra eco invite des experts à dresser le bilan. Pour le chercheur François Gemenne, la campagne a ignoré la crise écologique et manqué de dessiner un vrai projet d’avenir structurant et enthousiasmant.

François Gemenne est chercheur et enseigne la géopolitique du changement climatique et la gouvernance internationale des migrations à Sciences-Po Paris et à l’Université de Paris 13.

Terra eco : Nous arrivons au terme de la campagne. Que regrettez-vous ?

François Gemenne : Je regrette surtout qu’on soit passé à côté de l’essentiel : on a parlé de la crise économique, mais la crise écologique - qui est, à mon avis, l’enjeu numéro 1, et qui y est liée - n’a pas du tout été abordée. La campagne s’est surtout concentrée sur des questions de personnalité et de mesures « gadget » : les grandes questions ont été éclipsées au profit de futiles disputes, du « qui parle avant l’autre », « qui fait le plus grand meeting », « qui a le plus de soutiens », etc. Au fond, c’était un peu à celui qui « pissait le plus loin ». Dans un de ses derniers numéros, The Economist a titré sur l’élection « frivole » qui se passait en France, et je partage ce point de vue. Comme dans l’image détournée du Déjeuner sur l’herbe qui illustrait la couverture, on avait un peu l’impression d’assister à une campagne de bourgeois qui s’ennuient.

Aucun des principaux candidats n’a semblé vouloir repenser fondamentalement notre modèle de société et d’économie, et tous ont préféré utiliser petites phrases et mesurettes populistes pour camoufler leur incapacité à présenter un véritable projet d’avenir. Les questions essentielles ont été occultées : c’est le cas, bien sûr, des questions d’environnement et de politique énergétique, mais aussi de diversité et d’immigration, d’éthique, etc. En tant qu’étranger, je suis inquiet qu’un pays comme la France semble sans cesse vouloir se défendre contre son prétendu déclin, contre des menaces extérieures réelles ou supposées, plutôt que de vouloir se projeter dans l’avenir.

Pensez-vous à l’inverse qu’il y a quelque chose à sauver dans cette campagne ?

Eva Joly et François Bayrou se sont attachés à faire campagne sur des idées, et il faut leur rendre grâce sur ce point. Je regrette beaucoup que les messages d’Eva Joly ne soient pas davantage passés dans la campagne, mais je crois que ce n’était pas uniquement de sa faute. Ses plus durs adversaires appartenaient peut-être à son parti. Quand on voit la manière dont elle a été descendue notamment par José Bové, qui est pourtant un de ses porte-parole… Je pense qu’Europe Ecologie - Les Verts, collectivement, porte une responsabilité dans l’absence des questions environnementales de la campagne. Paradoxalement, le seul candidat audible sur les questions écologiques, c’est presque Jean-Luc Mélenchon. Ça ressemble pourtant à une conversion tardive… mais les conversions tardives se produisent parfois !

Certes, dans la campagne, des questions importantes ont été posées. Mais les réponses n’ont jamais été fournies, chaque thème étant aussitôt balayé par un autre. A ce titre, le fait que les candidats n’ont jamais débattu ensemble me semble symptomatique d’un problème. Il y a pourtant eu des occasions : la catastrophe de Fukushima, par exemple, était l’occasion de débattre collectivement de la politique énergétique en France. Mais la question n’est jamais entrée au cœur du débat, et on a préféré parler de viande halal. Pourtant la crise, économique comme écologique, aurait dû être l’occasion d’un vrai débat de fond, sur un projet d’avenir structurant. Comme on le disait, The Economist a fait sa une sur la France façon Déjeuner sur l’herbe, une France qui ne veut pas voir la crise économique. Pour moi, c’est aussi la crise écologique qu’elle ne veut pas voir.

Quel est à votre sens le ou les défis urgents du prochain quinquennat ?

A mon sens, l’urgence est de définir un projet d’avenir qui soit à la fois structurant et enthousiasmant. Qui nous permette de sortir de la crise, mais surtout qui nous engage pour l’avenir. La politique énergétique est une première urgence. Les questions de migration et d’ethnicité aussi. Est-ce que la France accepte le fait que sa diversité est une richesse, ou préfère-t-elle se replier sur elle-même et considérer l’immigration comme une menace ? Les flux migratoires peuvent-ils être considérés autrement que dans une stricte logique quantitative ? Et puis bien sûr, les questions de politique étrangère. Ce n’est pas vraiment la question de la place de la France dans le monde qui est importante ; c’est plutôt celle de ses rapports, demain, avec les pays du Sud.




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- Campagne : « La question énergétique a été mal abordée » 
 
- « Ce qu’il y a à sauver de cette campagne ne s’est pas vu à la télé »
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