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Le yaourt
lundi, 2 mars 2009 / Louise Allavoine , / Simon Astié

De l’étable à la table, nature ou parfumé aux fraises, le produit star du rayon frais n’est pas toujours blanc comme neige. Quant à son pot, il pourrait vous pousser à changer de crèmerie.

En 1993, une jeune chercheuse allemande décide de pister le yaourt aux fraises. Son objectif ? Retracer, depuis l’étable jusqu’au magasin en passant par l’usine, le parcours de ce produit laitier. Elle opte pour la version pot de verre, fabriqué dans une coopérative de Stuttgart. Au final, elle va crapahuter avec lui durant 9 115 km.

Ce périple débouchera sur une étude étonnante, largement relayée par les médias et publiée par l’Institut pour le climat, l’environnement et l’énergie de Wuppertal (Allemagne). Que contient-elle de si croustillant ? Du lait fermenté, certes. Mais aussi le détail des incroyables pérégrinations du petit pot. Stefanie Böge, la thésarde allemande, a mis bout à bout les kilomètres effectués par chaque ingrédient avant le mélange et l’empotage, puis y a ajoutés ceux du transfert jusqu’aux grandes surfaces de la région.

Un aller Paris-La Réunion

Mais comment l’itinéraire d’un produit de consommation aussi basique peut-il égaler la distance séparant Paris de La Réunion ? C’est la mondialisation, ma p’tite dame ! Les fraises sont récoltées en Pologne. Si le lait et les betteraves sucrières proviennent de fermes régionales, les ferments prennent, eux, des chemins de traverse de plusieurs centaines de bornes. Le verre est produit à 260 km à partir de sable et de zinc extraits, eux, à 546 km de Stuttgart. Le papier de l’étiquette affiche plus de 600 km au compteur. Sans parler des films en plastique importés de France et du carton ondulé provenant d’Autriche.

Ça fait beaucoup pour un yaourt de 150 grammes. Trop même aux yeux du chercheur français Christophe Rizet. Non pas que ce résultat soit bancal mais l’interpréter de cette façon n’a pas beaucoup de sens pour ce directeur de recherche à l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (Inrets). « Il faut en effet pondérer les kilomètres parcourus par l’énergie utilisée et le poids transporté », explique-t-il. Or, les fraises et les ferments sont des queues de cerises : « Ce qui pèse, c’est le lait. Et même s’il est transporté par la route, il vient de près. »

Plantage de poubelles

Si Christophe Rizet connaît bien le sujet, c’est qu’il a lui aussi étudié le cas du yaourt ainsi que celui du jean, « des produits emblématiques ». Ses résultats sont sortis en juin 2005. Et ce qui l’a vraiment étonné, c’est l’importance du trajet magasin-maison dans les consommations totales d’énergie du yaourt.

« Dans le cas d’achats faits en hypermarché, le parcours effectué par le consommateur nécessite presque autant d’énergie que celle dépensée par le yaourt entre l’usine et le magasin », relève-t-il. Car le client en voiture transporte beaucoup moins de pots qu’un camion. Le ratio d’efficacité énergétique n’est donc pas à son avantage. Et 70 % des Français font leurs courses alimentaires dans des grandes surfaces, selon l’Insee.

Mais qui dit acheter ne dit pas forcément manger… Parfois, le consommateur jette ses yaourts sans même les avoir ouverts. Pas de pot, une ONG britannique antigaspi, le Waste and Resources Action Programme, s’est amusée à les compter. Ainsi, chaque année, outre-Manche, 484 millions de « yoghurts » finissent à l’incinérateur sans que l’opercule n’ait été percé. What a shame !

Et quand le consommateur jette, il se plante souvent de poubelle. Car, contrairement aux idées reçues, le récipient en plastique d’un yaourt ne se recycle pas. « Seules deux familles de plastiques sont retraitées : celle des bouteilles, le PET, et celle des flacons, le PEHD », indique Anne de Lander, d’Eco-Emballages, l’organisme en charge du recyclage des conditionnements ménagers. Rien à voir avec le pot d’un yaourt qui est fabriqué en polystyrène (PS) ou polypropylène (PP). « Ces matières constituent un gisement trop faible pour qu’une filière de recyclage dédiée soit rentable d’un point de vue économique comme écologique », explique-t-elle.

Fort comme une ampoule

Sauf besoin urgent d’un téléphone-pot de yaourt pour les enfants, le récipient en plastique sera donc valorisé à l’incinération. Selon Rexam, un des leaders mondiaux de l’emballage des produits de consommation, la combustion d’un pot de yaourt en plastique dégage assez d’énergie pour faire scintiller une ampoule de 60 watts pendant une heure. Quant au récipient en verre, pas la peine de le privilégier, il n’est pas plus vertueux.

Au contraire. « Même s’il n’est pas recyclé, le pot en plastique a moins d’impact sur l’environnement parce qu’il est beaucoup moins lourd à transporter que le verre, et qu’il demande moins d’énergie à produire », souligne Catherine Klein, chez Valorplast, société de recyclage des plastiques.

L’échec du pot écolo

Certains industriels se sont quand même frottés au pot écolo. En 1998, Danone a lancé en Allemagne une petite boîte en polymères biodégradables par compost, le PLA. Mais « cette fabrication a été arrêtée parce que le consommateur n’a pas reconnu l’intérêt de cette innovation, et le coût du matériau était très élevé », peut-on lire dans le rapport développement durable 2007 du numéro 3 mondial du secteur laitier. Zut. Le chaland serait donc rétif au changement.

Autre piste : « Certains industriels se sont essayés à supprimer l’enveloppe de carton extérieure des packs de yaourts. Mais ils ont dû abandonner parce que les acheteurs s’en détournaient », constate Anne de Lander, chez Eco-Emballages. Si les fabricants se montrent vertueux, ils reconnaissent agir par intérêt. Car écologique doit rimer avec économique.

Depuis 1970, le pot de yaourt en plastoc est passé de 12 g à 5 g. « Réduire le poids des matériaux et optimiser le transport permettent de réduire les coûts. Par ailleurs, la contribution financière au recyclage est calculée en fonction du poids et du matériau des produits », précise-t-on chez Eco-Emballages.

Danone, le grand Khan du lait fermenté façon bulgare, affiche aujourd’hui un objectif de réduction du poids de ses emballages de 10 %. Selon l’analyse de cycle de vie réalisée par la multinationale, un kilo de yaourt nature (1) pèse 1,8 kg équivalent CO2 sur l’environnement, soit les émissions d’un trajet de 12 km en voiture. — (1) En pots de 125 g.


Le bio au goutte-à-goutte

Un Français avale, en une année, 40 kg de desserts « ultrafrais », c’est-à-dire des yaourts, des fromages frais et des desserts lactés. Notre appétit pour le lait fermenté est stable depuis cinq ans. La production ne varie donc pas. Comptez 1,54 million de tonnes de pots pondus en 2007 pour un chiffre d’affaires de 2,1 milliards d’euros. Danone se taille la plus grosse portion de la crème avec 35 % des parts de marché, suivi de Yoplait et de Nestlé. Mais ce sont les marques de distributeurs qui vendent le plus de yaourts (37 %).

La version bio du produit ne représente, elle, qu’une goutte de lait face à la crémerie industrielle : 9 000 tonnes annuelles. Pourtant, les consommateurs d’aliments biologiques plébiscitent les produits laitiers. 40 % consomment régulièrement des yaourts, selon le baromètre 2008 de l’Agence Bio. Et pourquoi ne pas ressortir la vieille yaourtière de mamie ? A la clé, des desserts faits maison avec du lait bio, pas de récipient en plastoc non recyclable ou en verre trop énergivore… C’est souvent dans les vieux pots qu’on fait les yaourts verts.