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Le bonheur se compte-t-il en euros ?
lundi, 2 mars 2009
/ Karine Le Loët / Rédactrice en chef à « Terra eco ». , / Rocco |
Le Produit intérieur brut, sacro-saint outil de mesure de la croissance, n’est plus du goût de tous. Mais la recette de son successeur reste expérimentale. Quels ingrédients ? En quelle quantité ?
Que reproche-t-on au fond au PIB, le fameux Produit intérieur brut ? Sa date de péremption. « Qu’à l’époque de Smith, au XVIIIe siècle, on estime que plus grosse est la production, plus nombreux seront ceux qui auront accès à l’opulence, mieux la société ira, d’accord.
Que l’idée se perpétue au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, alors que les besoins sont immenses, oui. Mais qu’elle persiste aujourd’hui est totalement anachronique », estime Dominique Méda, philosophe et sociologue au Centre d’études de l’emploi.
Pour que la mayonnaise prenne aujourd’hui, il faut plus d’ingrédients que ceux contenus dans le PIB, qui ne mesure la croissance d’un pays qu’en additionnant la valeur des biens et des services produits. Par exemple, prendre en compte le travail de cette association aidant les sans-abris, la bonne santé de cette grand-mère, l’effort de cette bibliothèque. Le PIB omet donc l’essentiel. Jusqu’à oublier qu’on ne peut éternellement tirer sur les ressources de la planète.
Pis, il transforme les citrouilles en carrosses. Avec un taux de croissance de 10 %, une société va bien, souligne l’indicateur. Et tant pis si les billets finissent toujours dans les mêmes poches. « Une société indifférente à la répartition de sa richesse accepte que ses liens sociaux soient fragilisés », note Florence Jany-Catrice, de l’université de Lille-1et auteure avec Jean Gadrey des Nouveaux indicateurs de richesse.
Il est donc temps de remettre le PIB à sa place. « Il reste utile pour réfléchir à l’emploi ou comparer le montant des salaires et les profits des entreprises, par exemple. Mais il ne doit pas être un objectif en soi », souligne Jean Gadrey.
La solution ? Lui adjoindre d’autres indicateurs et former un menu digne de figurer à la carte des nations. Là encore, des obstacles se dressent. Si on estime qu’il faut bâtir une société durable pour nos enfants, faut-il comptabiliser les découvertes médicales qui les maintiendront en vie, l’éducation qui leur ouvrira la voie de l’emploi, les initiatives écologiques qui préserveront la Terre ? Et comment mesurer les bienfaits d’un apprentissage ou d’une rivière propre ?
Les débats sont multiples et les acteurs, partagés. Parmi eux, les membres de la commission Stiglitz réfléchissent depuis plus d’un an, à la demande du président Sarkozy, à la création d’outils de mesure (lire ci-contre). Avant eux, quelques cuistots audacieux s’étaient déjà mis aux fourneaux.
Avantages : Simple et applicable à toutes les sociétés, l’IDH est une puissante alternative au PIB. « Il a des effets très positifs sur la réorientation des priorités. Il dit au Fonds monétaire international par exemple que la croissance est importante mais qu’il ne faut pas sacrifier l’éducation de la société en route », souligne Jean Gadrey.
Inconvénients : Avec un classement sur une échelle de 0 à 1, l’IDH peine à reproduire les écarts, fins mais significatifs, entre pays dits développés. Car pour pouvoir représenter proportionnellement l’intervalle immense entre ceux-ci et les plus pauvres, l’échelle est obligée d’estomper les différences plus petites. « Ainsi sur une échelle regroupant tous les pays, les nations développées apparaissent très regroupées en termes d’IDH », explique Florence Jany-Catrice.
Avantages : « Lorqu’on confronte le PIB par habitant et l’ISS, il n’y a aucune corrélation. Ce n’est pas parce qu’une région est riche que sa santé sociale est forte », souligne Florence Jany-Catrice qui a participé à la construction de l’indicateur dans le Nord-Pas-de-Calais. La preuve que le PIB ne dit pas tout d’un pays.
Inconvénients : L’ISS ne peut être universel, les problèmes n’étant pas les mêmes partout. « Aux Etats-Unis, le taux de couverture sociale maladie est une variable importante. En France aujourd’hui, cela a peu de sens car à peu près tout le monde dispose d’une couverture maladie », concède Florence Jany-Catrice.
Avantage : « Il parvient à surmonter un grand défi : celui de réunir les questions environnementales et sociales », note Dominique Méda.
Inconvénients : Les problèmes environnementaux sont relégués en sous-catégorie. Il faudrait donc « verdir » cet indicateur, proposent Jean Gadrey et Florence Jany-Catrice en introduisant la « durabilité environnementale ». Une métamorphose possible car « cet outil est explicitement présenté comme ouvert au débat public (...) et qu’il s’y prête remarquablement ».
Avantage : Faciles à instaurer, ils pourraient remplacer le PIB dès demain.
Inconvénients : Délicate, la conversion en monnaie des coûts environnementaux « peut aussi conduire à la multiplication des marchés, à l’image du marché de CO2 », souligne Florence Jany-Catrice et réaffirmer la suprématie de l’économie.
Avantage : Très imagé, l’indicateur présente une situation claire au grand public. Il permet aussi d’éviter l’écueil de la monétarisation.
Inconvénient : Cet outil ne dit rien des dégâts faits sur l’environnement. Si l’homme disposait bien des hectares nécessaires à sa survie, que pourrait-il en faire si les forêts étaient dévastées et les rivières à sec ? —
INTERVIEW
La crise financière va-t-elle ralentir la recherche d’indicateurs ? Certains pensent que la crise va recentrer l’attention sur le PIB et la croissance. Pour d’autres, au contraire, elle prouve qu’il faut prendre en compte d’autres aspects de nos sociétés. Plusieurs crises sont apparues ces dix-huit derniers mois : alimentaire, énergétique, environnementale, financière tandis qu’une sociale se prépare… Il faut aller au-delà du PIB pour mesurer toutes ces crises et espérer les surmonter.
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