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Et si le maïs OGM avait déjà contaminé le miel…
lundi, 26 mars 2012 / Anaïs Gerbaud

Les apiculteurs ne sont pas rassurés. Le ministère de l’Agriculture a eu beau interdire de nouveau le maïs MON 810, ils dénoncent une décision trop tardive, insuffisante pour empêcher toute contamination du miel français.

A l’amorce du printemps, les apiculteurs français sont sous tension. Echaudés par l’arrêt de la Cour de justice européenne (CJUE) du 6 septembre dernier qui rend impossible la commercialisation de tout miel contenant la moindre trace d’organismes génétiquement modifiés (OGM), ils craignent d’éventuels semis de maïs MON 810 sur le sol français. Une situation qui « risque de jeter un doute sur le miel français, aujourd’hui garanti sans OGM », avance Olivier Belval, président de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf). Car « dans l’état actuel de la réglementation, le miel produit à côté d’un champ OGM sera détruit », explique cet apiculteur. Les abeilles butinent à une moyenne de 3 à 5 kilomètres autour de la ruche, parfois jusqu’à 10. « Il est impossible d’empêcher le pollen de féconder des plantes même éloignées de plusieurs centaines de mètres et d’empêcher les abeilles d’aller récolter le pollen du maïs à plusieurs kilomètres », lit-on dans une recommandation du Comité économique éthique et social (CEES) du Haut conseil des biotechnologies (HCB) datée du 21 décembre 2011.

Des semis curieusement précoces

Le ministère de l’Agriculture a suspendu la mise en culture du maïs MON 810 le 16 mars dernier - l’arrêté a été publié le 18 mars au Journal officiel. « Une nouvelle très attendue du monde apicole », a aussitôt réagi l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf) dans un communiqué. L’interdiction de 2008 avait été suspendue en novembre 2011 par le Conseil d’Etat.

La nouvelle décision est saluée mais jugée « tardive » par l’Unaf. Le ministère motive sa décision par « la proximité de la période des semis ». Problème : des agriculteurs qui souhaitent cultiver du maïs OGM n’ont peut-être pas attendu cette date. La météo était favorable à de tels semis. « Dans le sud-ouest, les agriculteurs n’avaient jamais vu de semis aussi précoces », s’inquiète Olivier Belval, le président de l’Unaf. « Des apiculteurs et des militants anti-OGM ont vu des parcelles de maïs déjà semées, notamment dans le sud de l’Aquitaine et en Haute-Garonne, ce qui est inhabituel avant la mi-mars », constate Richard Legrand, membre de l’Unaf.

Imbroglio juridique inévitable

Impossible de certifier qu’il s’agit de MON 810 mais cette précocité est « un message d’alerte » pour Olivier Belval, d’autant que « le maïs peut encore souffrir du gel à cette période de l’année ! » Et certains agriculteurs pro-OGM n’ont pas caché leur intention de cultiver du MON 810. Ont-ils franchi le cap ? « Je suis sûr que c’est déjà le cas », déclarait au journal Sud Ouest deux jours avant l’interdiction Claude Ménara, maïsiculteur près de Marmande (Lot-et-Garonne) et pro-OGM. L’inquiétude gagnait aussi les collectivités. « Certains agriculteurs ont annoncé vouloir profiter du temps printanier de cette semaine pour semer précocement… du maïs MON 810. S’ils s’exécutent, nous aurons à faire face à une pollution des autres cultures, sans oublier le miel des apiculteurs », se fendait Sophie Bringuy, vice-présidente des Pays de la Loire, en charge de l’environnement, dans un communiqué le 12 mars.

Du maïs transgénique déjà en terre et un gouvernement qui l’interdit... On serait face à des cas marginaux. Mais la situation serait inédite et l’imbroglio juridique inévitable. « Si des parcelles ont déjà été semées, quel en est le statut juridique ? », interroge l’Unaf. Cette question repose sur une subtilité : l’interdiction concerne la mise en culture, pas la culture du maïs transgénique. Une différence de taille : les semis du MON 810 sont illégaux depuis le 16 mars. Les graines déjà en terre ne le sont pas. Le ministère de l’Agriculture n’a pas répondu à l’inquiétude des syndicats apicoles. Olivier Belval va plus loin. « Comment le ministère va pouvoir contrôler que de nouveaux semis n’ont pas lieu maintenant ? A quinze jours de différence, il est impossible de déterminer la date des semis. »

« Le pollué-payeur »

Pour prouver leur bonne foi, les apiculteurs n’auraient qu’une solution : réaliser des analyses de leur miel, dont les frais seraient à leur charge. « C’est le principe du pollué-payeur. Ces analyses devraient être à la charge de Monsanto ! », s’indigne le président de l’Unaf. La culture du maïs OGM crée un climat de suspicion et enraye la commercialisation du miel, explique-t-il, en prenant l’exemple de l’Espagne. « 86 000 hectares de MON 810 y sont cultivés. A cause de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, les apiculteurs n’arrivent pas à vendre leur production de 2011. Les importations vers l’Allemagne sont bloquées. Ils doivent baisser leurs prix de 30% à 50%, ce qui ne couvre pas leur coût de revient. »

Que dit la réglementation française en matière de coexistence entre la production de miel et des cultures de maïs transgénique ? Rien pour le moment. Fin janvier, un projet d’arrêté du ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire prévoyait une distance de 50 mètres entre une parcelle génétiquement modifiée et une autre activité agricole. « Ce sont les mesures les plus laxistes d’Europe ! », s’exclame Olivier Belval. Circonspect, il rappelle que « la culture de plantes transgéniques est possible à condition que d’autres filières agricoles ne soient pas en danger ». C’est le sens de l’article 2 de la loi de coexistence votée en 2008, selon lequel les OGM « ne peuvent être cultivés, commercialisés ou utilisés que dans le respect […] des structures agricoles, des écosystèmes locaux et des filières de production et commerciales qualifiées sans OGM ».

Les syndicats apicoles demandent une clarification des responsabilités, mais pas seulement : « Nous proposons l’indemnisation des agriculteurs qui auraient semé du maïs transgénique pour le détruire et ressemer. »

De son côté, l’Association générale des producteurs de maïs a prévu de déposer un recours contre l’interdiction de cultiver du maïs OGM, comme l’a déclaré son directeur Luc Esprit à La Croix. La guerre n’est pas finie...