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Le partenariat public-privé, miracle budgétaire ou bombe à retardement ?
mardi, 20 mars 2012 / Arnaud Gonzague

La France raffole des partenariats public-privé, une formule qui permet de confier la construction et l’exploitation d’hôpitaux, de collèges ou de bâtiments publics au secteur privé. Une bonne affaire comptable mais pas vraiment durable.

Ce sera peut-être LE chantier pharaonique signé en 2012 : le canal Seine-Nord, une autoroute fluviale de 106 km reliant la Seine aux fleuves du Benelux. Coût : environ 5 milliards d’euros. Pourtant, l’Etat devrait en débourser moins de 3 pour se l’offrir. Ce miracle budgétaire a un nom : « PPP ». C’est-à-dire « partenariat public-privé », une formule importée du Royaume-Uni en 2004, et qui fait un malheur aujourd’hui. Comment ça marche ?

Habituellement, quand l’Etat ou une collectivité veulent construire un bâtiment ou une route, ils doivent casser leur tirelire pour payer les architectes, puis les constructeurs. Dans un PPP, ils laissent un consortium privé – regroupant généralement un géant du BTP, une banque et une compagnie d’assurance – avancer ces frais. Ensuite, ils leur versent une redevance périodique, une sorte de loyer. Au bout d’une échéance fixée à l’avance (vingt, trente voire cinquante ans), ils deviennent les vrais propriétaires du site, qui aura entre-temps été exploité et géré par le privé.

Bâtiments flambants neufs payés à livraison

« Aujourd’hui, la France est le pays d’Europe, et peut-être du monde, qui connaît le plus grand montant de PPP », se félicite François Bergère, directeur de la mission d’appui aux PPP. Au total, les pouvoirs publics ont ou vont en effet générer quelque 12 milliards d’euros d’investissements sous cette bannière. Le centre hospitalier Sud-francilien (CHSF) – le plus gros hôpital de France – le futur ministère de la Défense ou la ligne Tours-Bordeaux en sont. Il faut dire que la formule semble alléchante : en période de disette budgétaire, elle permet aux élus de faire sortir de terre des bâtiments flambants neufs, qui ne commenceront à être payés qu’à livraison.


« Ce paiement à la livraison a une conséquence : les PPP sont livrés dans les délais, infiniment plus qu’en régime classique », soutient François Bergère. En outre, la maintenance des locaux est une obligation, incluse dans le loyer du PPP - ce qui doit garantir qu’on ne verra plus ces bâtiments publics délabrés, retapés de bric et de broc pour économiser trois sous. Surtout, les loyers versés au privé sont, dans un premier temps, presque indolores. Jusqu’à décembre 2010, la loi autorisait même les collectivités à ne pas inscrire le PPP à leur bilan - autrement dit, à planquer soigneusement la dette sous le tapis ! Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais il faut prendre sa calculette pour mesurer combien un hôpital ou un stade en PPP vous coûteront. Et là… ça fait mal !

Des économies à long terme ?

Un seul exemple : il faudra verser pour le CHSF quelque 1,2 milliards d’euros sur trente ans - soit, selon la Chambre régionale des comptes, presque le double des 760 millions versés si l’Etat s’en était chargé ! « Ce surcoût est celui de tous les PPP. Il s’explique par la grosse marge prise par le constructeur, explique Régis Rioton, architecte et conseiller national à l’Ordre des architectes. Mais aussi parce que le prêt de la banque est consenti à un acteur privé, donc avec des intérêts bien plus élevés que ceux qu’elle consentirait à une collectivité. » Aucune étude n’a encore mesuré les éventuelles économies des PPP sur le long terme, mais les échos venus de Grande-Bretagne – des hôpitaux publics, pris à la gorge, n’arrivent plus à payer – ne présagent pas le meilleur.


« C’est une formule très hypocrite, qui se présente comme une solution en temps de rigueur, tonne Alain Rousset, président (PS) de la région Aquitaine et de l’Association des régions de France. En réalité, on lance des opérations énormes qu’on demande à nos enfants de payer. » D’autant qu’une évidence s’impose : les montants mentionnés dans les contrats ne tiendront pas trente ou quarante ans. « Les contrats pourront en effet être renégociés à la baisse ou à la hausse », fait valoir François Bergère. Et l’on doute que ce soit à la baisse… Le contribuable aura-t-il au moins l’honneur d’être mis au courant de ces sommes ? Ce n’est pas garanti. Ainsi, à ce jour, les critères pour renégocier les redevances versées par l’Etat à Bouygues pour le ministère de la Défense et le Palais de Justice de Paris restent inconnus du public…

Gestion des services annexe en question

Dernier souci : la gestion des services annexes (nettoyage, surveillance, cantine…) est laissée au privé. « Les collectivités vont donc se voir imposer des prestations du consortium, plutôt que de choisir les meilleurs », s’inquiète Régis Rioton. Car même si, en théorie, les administrations sont libres de choisir d’autres prestataires, ce qui les lie ressemble quand même plutôt à des menottes invisibles. Invisibles pour le moment.