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Nous sommes tous des esclavagistes
jeudi, 22 mars 2012 / Arnaud Gonzague

Des esclaves énergétiques, Jean-François Mouhot Champ Vallon, 160 p., 17 euros.

A première vue, ça s’appelle comparer des choux et des carottes. Pour l’historien Jean-François Mouhot, nous, citoyens d’Occident, nous trouvons dans la même situation que nos aînés au début du XIXe siècle. Eux profitaient, avec plus ou moins bonne conscience, de la prospérité économique née de la traite négrière d’Afrique. Nous jouissons de la multitude des machines modernes, née du pillage des ressources pétrolières. Ecartons d’emblée tout malentendu : Mouhot ne met évidemment pas sur le même plan cette abomination que fut l’esclavage et le fait d’acheter un 4x4 ou de prendre l’avion. Il note simplement que nous sommes à la même croisée des chemins. Nous savons depuis une dizaine d’années que notre train de vie est irresponsable et suicidaire, mais les conséquences ne nous touchent pas directement : les futurs réfugiés climatiques habitent dans des pays lointains. Et nos petits-enfants ne sont pas encore nés.

Sucre des îles

Il y a deux siècles, on raffolait du sucre et du coton des îles, sans trop penser à la manière dont ils étaient produits. « Chaque fois que des sociétés ont eu la possibilité d’avoir quelqu’un ou quelque chose qui puisse effectuer des tâches à leur place pour rien, ou à un faible coût, elles en ont presque toujours profité. Quel que fut le coût moral. » Pur jeu d’historien ? Non. Là où le livre de Mouhot est fulgurant, c’est quand il démasque les traits de notre époque : il n’affirme pas que nous sommes indifférents au sort de la planète. Mais nous sommes tétanisés dès qu’il faut penser à changer notre mode de vie.

« Léthargie collective »

« Le déni survient quand nous croyons qu’un problème est tellement insurmontable que changer est tout à fait impossible. » Cette « léthargie collective », les générations futures la jugeront avec la même sévérité que nous regardons les sociétés esclavagistes. Surtout, l’auteur a l’idée excellente – hélas, insuffisamment développée – de se demander quelle « méthode » a été la plus efficace pour abolir l’esclavage. Deux éléments de réponse. Primo, trouver des alternatives viables. La révolution industrielle a, d’une certaine manière, remplacé la traite négrière. Il faut, pour décarboner le monde, mettre l’accélérateur sur les énergies vertes. Secundo, avoir le sens du compromis. Les abolitionnistes n’ont pas obtenu gain de cause d’un claquement de doigts : il leur a fallu finasser, transiger, faire des concessions pour, petit à petit, arriver à leurs fins. On ne changera pas le monde en lançant des imprécations écolos du haut d’un empyrée. « Etre positif », réclame Mouhot. C’est moins romantique qu’un Grand Soir mais, apparemment, ça marche. —


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