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Très chères matières
jeudi, 29 janvier 2009 / Arnaud Gonzague

LIVRE. Philippe Chalmin – DES EPICES A L’OR NOIR, L’EXTRAORDINAIRE EPOPEE DES MATIERES PREMIERES, Bourin éditeur (2008), 160 pp., 29 euros.

« Dans les contes de fées, on dit que les peuples heureux n’ont pas d’histoire. Du fait de leur instabilité, les marchés de matières premières en ont eu beaucoup », prévient Philippe Chalmin, historien de l’économie à l’université Paris- Dauphine.

De belles histoires parfois : celles de conquêtes de denrées nouvelles en territoires exotiques, comme le poivre de Malabar ou l’or du Canada. Ces aventuriers faisaient rêver les gosses jusque dans l’après-guerre. Des histoires sinistres aussi, quand cette conquête se transforme en accaparement colonial, quand la chute d’un cours provoque l’effondrement d’une nation, ou quand l’exploitation d’un métal (le plomb) ravage des régions entières (le Pérou) et le sang de ceux qui ont le malheur d’y vivre.

Au fond, si les matières premières sont si passionnantes, c’est qu’elles sont le miroir de l’Homo sapiens. Et les rebondissements de leur histoire offrent un portrait-robot de la nôtre, dans ce qu’elle a de plus dynamique, de plus imaginatif – transformer la fève blanchâtre et peu avenante du cacaoyer en chocolat ou recueillir la sève gluante de l’hévéa pour en faire du caoutchouc –, mais aussi de plus navrant – annexer le moindre minerai existant, la moindre racine qui pousse alentour pour en faire une marchandise, ratiboiser hommes, rivières et terres pour l’exploiter sans se soucier du futur.

Cette voracité, il faut bien l’interroger aujourd’hui, comme un psy questionne un patient névropathe. Pas le choix : la planète est en passe de rendre l’âme. L’homme réalise pour la première fois de son histoire que ses denrées ne sont pas infinies et qu’il va bien falloir se résoudre à construire, patiemment, un monde sans.

C’est l’opportunité de s’étonner de ce terme, « matières premières ». Que nous dit-il ? Que les denrées terrestres n’existent dans une version première que pour servir la production humaine. C’est ce que l’économiste Schumpeter nomme la « destruction créatrice ». Depuis 40 000 ans environ, l’homme s’intéresse surtout à la deuxième partie du terme, la création. Désormais, il va falloir qu’il se penche sur la première.


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