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Deepwater : l’accord qui oublie l’essentiel
mercredi, 7 mars 2012 / Alice Bomboy /

Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

Un accord entre BP et les plaignants ajourne le procès du siècle, celui de la marée noire du Golfe du Mexique. Pour l’instant. Car tout n’est pas réglé : si les humains sont dédommagés, la planète, elle, reste la grande oubliée.

7,8 milliards de dollars (5,9 milliards d’euros) : c’est le prix que British Petroleum (BP) est prêt à payer pour éviter le « procès du siècle ». A la suite de l’explosion de la plate-forme offshore Deepwater Horizon, le 20 avril 2010, un procès monstre devait s’ouvrir à la Nouvelle-Orléans pour déterminer les responsabilités du pétrolier dans la catastrophe. Reporté d’une semaine, ce grand raout judiciaire est finalement mis en suspens à la suite de l’accord passé vendredi dernier entre BP et les avocats de 116 000 plaignants (des hôteliers, des pêcheurs de crevettes, des ostréiculteurs, des restaurateurs...).

Cette somme, se félicite BP dans un communiqué de presse, résout « la grande majorité des pertes économiques légitimes et les remboursements de frais médicaux découlant de l’accident de Deepwater Horizon et la marée noire consécutive ». Fin du bal ? Pas vraiment. Car de nombreux points restent en suspens. Oubliés notamment les dégâts causés à l’environnement par « le pire désastre environnemental que les États-Unis aient jamais connu », dixit le président Obama.

Un accord... qui puise dans un fonds déjà existant

Si 7,8 milliards de dollars est une somme rondelette pour le commun des mortels, ce n’est pas vraiment le cas si on la compare aux torts colossaux causés par l’explosion de la plate-forme pétrolière. C’est même moins que le montant des dégâts estimé par les spécialistes de cette affaire. Et si on la compare aux profits réalisés en 2011 par BP, la somme devient carrément une goutte d’eau : elle représente à peine un tiers de ceux-ci. Pire, BP ne mettra pas vraiment la main à la poche, puisque le géant du pétrole ira puiser dans un fonds déjà existant pour régler cette facture... Le Gulf Coast Claims Facility avait en effet été doté dès 2010 de 20 milliards de dollars (14,8 milliards d’euros) pour indemniser rapidement les victimes de la catastrophe. Un tiers de ce fonds a déjà été distribué, et ce sont donc les sommes restantes qui vont servir de compte en banque pour allonger les sommes prévues par l’accord.

Le hic ? Si 116 000 plaignants ont choisi de poursuivre BP en justice plutôt que de bénéficier de ce fonds de compensation créé en 2010, c’est justement parce que les propositions faites ne leur semblaient pas équitables ! Ceux-ci se retrouvent donc de nouveau et contre leur gré « parachutés » au sein des bénéficiaires du Gulf Coast Claims Facility, qui sera désormais géré par le tribunal de la Nouvelle-Orléans. Les propositions pour indemniser chacun seront-elles meilleures que les précédentes ? Que vont devenir les sommes promises aux personnes qui avaient fait confiance au fonds de compensation pour les indemniser, alors que celui-ci va être amputé de la majeure partie de son budget ? Quelle part finira dans les poches des avocats impliqués dans le dossier et que restera-t-il vraiment aux plaignants ? Ces questions restent entières. Car l’accord n’a encore rien de définitif : ses modalités, et même son montant, doivent encore être discutées au cours des 45 jours à venir, à l’issue desquels le projet sera présenté au tribunal fédéral de la Nouvelle-Orléans. Qui décidera de l’approuver. Ou non...

Un deal dédié aux pertes économiques et à la santé

En l’état, l’accord prévoit d’indemniser en deux volets : d’un côté les activités lésées par les conséquences l’accident, de l’autre les victimes dont la santé a été affectée. Sur les côtes de la Louisiane, nombreux sont les pêcheurs, notamment, qui ont payé de leur business mais aussi de leur santé l’explosion de Deep Water Horizon. Plus de 10 000 pêcheurs ont été embauchés par BP dans le cadre du programme « Vessels of Opportunity ». A la suite de la catastrophe, ils se sont embarqués en mer avec leurs bateaux pour arrêter le pétrole avant qu’il n’atteigne les côtes et les détruise irrémédiablement, mais aussi pour nettoyer les eaux qui assuraient leur subsistance.

Dès 2010, une étude publiée dans le Journal of the American Association tire l’alarme : la catastrophe du Golfe du Mexique « pose des menaces directes pour la santé humaine par inhalation et contact dermatologique, ainsi que des menaces indirectes via la sécurité de l’alimentation tirée de la mer et via la santé mentale », concluent alors les auteurs. Et de fait : pneumonies à répétition, sang dans les urines, pertes de mémoire sont désormais le lot commun de ces « nettoyeurs du pétrole » improvisés. Réponse de l’accord ? Le remboursement des frais médicaux de plaignants et un programme s’étalant sur 21 ans pour gérer les problèmes sanitaires à venir.

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L’environnement toujours en salle d’attente

Reste un grand absent de l’accord : l’environnement. Et pour cause : les poursuites lancées contre BP par le gouvernement fédéral, les États touchés par la catastrophe et les autorités locales courent toujours. « Il y a deux types de sanctions environnementales. La première est une amende pénale, liée à la violation du Clean Water Act. Son montant découlera directement de la quantité de pétrole relarguée en mer et du fait qu’il y ait eu négligence ou pas. Elle pourrait être très élevée, de 20 à 21 milliards de dollars (environ 15 milliards d’euros). La seconde sanction, que nous appellerons le ‘Natural Ressources Damages Assessment’, dit que lorsque quelqu’un pollue l’environnement, il doit payer pour ça », explique Brian Moore, le directeur légistalif de la Audubon Society, une association dédiée à la conservation de l’environnement.

A la question, « pourquoi le versement des ces amendes est-il si long ? », la réponse du spécialiste est très claire. « L’amende pénale n’est pas compliquer à déterminer, il suffit de compter les barils de pétrole. Ce n’est pas très difficile à dire, mais c’est plus difficile de payer ! La seconde amende prend par contre plus de temps car il faut estimer les dommages causés à l’écosystème et combien d’argent permet de les réparer. Il faut faire des analyses du sol, de l’eau, voir comment les populations d’oiseaux et la chaîne alimentaire évoluent... Mais ces deux amendes n’ont pas besoin d’être traitées en même temps. Il faut tout de même en passer par un tribunal, et là, BP a tout intérêt à ce que ça dure longtemps, pour ne pas avoir à donner l’argent trop vite. Avec Exxon, ça a pris vingt ans. On ne veut pas que ça recommence avec Deep Water Horizon ».

« On ne sait pas exactement où va cet argent »

Car la situation presse. Particulièrement en Louisiane, où l’écosystème décline à vitesse grand V. La ligne de côte s’érode, et les marais, essentiels à la vie sauvage et indispensables pour diminuer l’impact des cyclones, ont besoin d’aide pour se remettre sur pieds. Pour que l’argent arrive plus vite, le gouvernement fédéral et les Etats touchés par la marée noire pourraient eux aussi être tentés de passer un accord avec BP, évitant ainsi un long procès. « Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, estime Brian Moore. Avec un accord, on ne sait pas vraiment quel est le montant des sommes versées, ni où va exactement cet argent. Il résulte de discussions en privé, alors qu’un procès se fait en public. C’est le pire accident environnemental de notre pays ! Ca devrait être un événement public autant que possible. »