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Deepwater : comment BP veut éviter le procès du siècle
mercredi, 29 février 2012 / Alice Bomboy /

Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

Le pétrolier et certains plaignants cherchent à éviter de s’embarquer dans un procès complexe, tentaculaire, et qui pourrait durer longtemps.

Il y a deux ans, le 20 avril 2010, une explosion sur la plate-forme offshore Deepwater Horizon avait tué 11 personnes et provoqué la plus grande marée noire de l’histoire des Etats-Unis. Pourtant, rien n’assure que se tiendra un procès visant à déterminer les responsabilités du britannique BP et de ses partenaires – entre autres Transocean et Halliburton – dans cette affaire.

Rien n’est moins sûr en effet depuis dimanche dernier et l’annonce du report des premières audiences au 5 mars, alors qu’elles devaient débuter ce lundi 27 février devant le tribunal fédéral de la Nouvelle-Orléans. La raison de ce sursis : laisser plus de temps pour « permettre aux parties de faire davantage de progrès dans leurs discussions en vue d’un accord », a expliqué le juge Carl J. Barbier, qui supervise le procès. « Il n’y a pas d’assurance que ces discussions vont mener à une conciliation », tempère cependant BP et le comité des plaignants dans un communiqué de presse conjoint.

340 avocats, 116 000 plaignants et 7,2 millions de pages au procès

Quelques chiffres, rappelés par The Telegraph, suffisent à comprendre pourquoi beaucoup, et surtout le pétrolier, cherchent une alternative à un procès d’ores et déjà qualifié de « procès du siècle ». Les 340 avocats représentant les 116 000 plaignants civils – des hôteliers, des pêcheurs de crevettes ou encore des ostréiculteurs – ont compilé pas moins de... 7,2 millions de pages pour plaider cette affaire. Plus de 300 témoins ont aussi enregistré des vidéos faisant office de dépositions. Bob Dudley, le directeur exécutif de BP, a lui-même estimé dans le quotidien britannique que le procès pourrait durer jusqu’en 2014, voire beaucoup plus, s’il se prolongeait dans les complexes méandres d’un appel.

Pour la compagnie pétrolière, la facture, avant même le début du procès, est déjà salée : ses frais juridiques et autres coûts associés s’élèvent déjà à 1,73 milliard de dollars (soit 1,28 milliard d’euros). D’autres avocats, représentant les Etats bordant le golfe, s’attelleront quant à eux à récupérer des dommages et intérêts dans le cadre du Oil pollution act (loi régissant la responsabilité et l’indemnisation des dommages dus à une pollution marine par des hydrocarbures). Les avocats du gouvernement allongeront encore la note, au titre du Clean water act (loi sur la pollution des eaux).

Mais si BP était reconnu coupable de grave négligence ou de faute intentionnelle, ce que réfute le groupe britannique, l’amende à payer pourrait en effet passer de 1100 à 4300 dollars (817 à 3200 euros) par barils de pétrole déversés en mer à la suite de l’accident sur Deepwater Horizon. Or, en quatre-vingt-sept jours de fuite, l’équivalent de 4 à 5 millions de barils se seraient échappés du puits béant dans les profondeurs du golfe... Au total, les experts estiment que la facture pour BP au terme du procès pourrait s’élever entre 4,5 milliards et 17,6 milliards de dollars (3,3 à 13 milliards d’euros).

Un fond de 15 milliards d’euros pour « apaiser » les victimes

En créant un fond de compensation, le Gulf coast claims facility, destiné à indemniser les victimes de la catastrophe, BP avait déjà tenté de réduire la probabilité de tenue d’un procès, ou tout du moins son envergure. Sur les 20 milliards de dollars versés à ce fond, 6,7 ont déjà été distribués à environ 193 760 particuliers et professionnels lésés par l’accident (respectivement 14,8 et 4,7 milliards d’euros). La liste des futurs indemnisés, elle, est encore longue de 368 705 autres personnes... Le New York Times rapporte cette semaine pourquoi ceux-ci ont préféré cette option à un procès. « Quoiqu’il se passe au procès, nous en avons déjà terminé », témoigne un restaurateur, qui pâtit encore d’avoir eu à retirer les crevettes de sa carte aux pires moments de la crise. 116 000 autres personnes, plaignantes dans le procès, n’ont quand elles pas été satisfaites par les offres faites dans le cadre du fond de compensation. Leurs arguments ? Cette perfusion financière ne permet pas de compenser les pertes de revenus que restaurateurs, pêcheurs et autres propriétaires de docks continuent de subir.

La stratégie de BP, cherchant un accord à l’amiable plutôt que de s’engluer pendant deux décennies de procès comme son concurrent Exxon à la suite du naufrage de l’Exxon Valdez en Alaska en 1989, paiera-t-elle ? Entre intérêts collectifs, respect des demandes individuelles des plaignants et budget à tenir pour BP, l’équation est complexe. Affaire à suivre sous sept jours...