Le conférencier Jean-François Noubel prédit l’avènement tout proche de monnaies créées par tout un chacun.

Nul ne pourra dire que Jean-François Noubel ne fait pas ce qu’il prône. Voilà plusieurs années que le fondateur du site TheTransitioner.org vit « de charité ». Vous avez bien lu : il ne prend que ce qu’on consent à lui donner et rembourse avec ce qu’il est capable de faire. Plutôt inattendu pour un conférencier et coach fort reconnu, applaudi récemment à l’événement TEDxParis pour ses réflexions pionnières sur les monnaies libres et l’intelligence collective. Mais, à 48 ans, ce père de famille ne possède ni compte en banque, ni « statut social » – les termes « coach » ou « conférencier » appartiennent donc à l’auteur de ces lignes –, ni patrimoine (il loge à Avignon, dans un 20 m2 prêté par des amis) et essaie de se passer de l’euro, même si « c’est impossible de le faire complètement » (1).

Comme l’invention de l’écriture

« J’ai eu un déclic en 2003, raconte-t-il, quand j’ai réalisé le problème de fond : nous sommes tous en compétition pour de l’argent rare. Or, l’humanité se dirige vers un fonctionnement collectif de l’intelligence » qui a démarré avec l’avènement des réseaux sociaux, de Skype ou de Wikipédia. Bientôt, affirme-t-il, chacun pourra créer sa propre monnaie et échapper au « fonctionnement pyramidal » du monde – une petite élite en tête et une base gigantesque – qui nous asservit et qui est symbolisé par un argent que tout le monde ne possède pas, c’est peu de le dire. Cette révolution, il en est certain, sera « du même ordre que l’invention de l’écriture ».

AOL, cascades et prison

On pourrait ricaner, bien sûr. Mais Jean-François Noubel n’est pas le premier venu. Pur autodidacte – il n’a qu’un bac en poche –, le monsieur a participé au lancement d’AOL en 1995, quand le fournisseur d’accès yankee s’appelait encore America Online et pesait plusieurs milliards. Il en a claqué la porte en 1999, avant la fusion avec Time Warner, qu’il désapprouvait. Avant, il a été cascadeur et a même fait plusieurs passages à la prison de la Santé, dont une fois, en 1994, pour avoir hacké des cartes bancaires… Depuis, il a entamé une psychothérapie, voyagé, beaucoup réfléchi et commencé à plancher sur un site qui permettrait à n’importe quelle communauté de créer sa « constellation monétaire », et donc d’échapper à la rareté artificielle de l’argent. Une manière de se libérer des contraintes, comme lui-même l’a fait en respectant la promesse qu’il s’était faite en prison : celle de devenir « le meilleur humain possible ». Quand on lui demande si, à l’heure de la crise de la zone euro et de l’égoïsme frénétique des élites mondiales, il ne se sent pas un peu seul avec son système « holomidal » – du grec holos, « entier », le contraire du pyramidal –, il arbore le sourire du sage : « Un dicton dit : ‘‘ Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ’’. Moi, je m’intéresse surtout à la forêt qui pousse. » —

(1) Une septuagénaire allemande, Heidemarie Schwermer, dit le faire depuis seize ans. A voir ici.