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Jeremy Rifkin, l’homme du troisième millénaire
jeudi, 23 février 2012 / Marjane Foucault

Passionné, polémique et populaire, l’économiste américain est une superstar de la pensée. Dans son dernier ouvrage, il annonce l’avènement d’une nouvelle ère, dont les deux pôles seraient Internet et les énergies renouvelables. Militant et stimulant.

La politique-fiction de Jeremy Rifkin est autrement plus joyeuse que les prophéties mayas. Point d’apocalypse pour décembre 2012, l’économiste américain dessine dans son dernier ouvrage un nouveau monde possible. Une rupture. Une enthousiasmante Troisième Révolution industrielle : c’est le titre de son livre. Car c’est désormais une habitude : à intervalles réguliers, Rifkin publie un ouvrage annonçant la fin d’une ère et l’arrivée d’une nouvelle. Il a ainsi tour à tour prédit la fin du travail, celle de la propriété privée, l’arrivée des clones ou l’apogée de l’hydrogène. Cette fois, il consacre la chute des énergies fossiles.

« La vraie crise économique est arrivée en juillet 2008, quand le baril a atteint les 147 dollars (110 euros) sur le marché mondial, explique-t-il, ce matin-là, en empoignant des chips dans un saladier. L’écroulement des marchés financiers quelques jours plus tard n’en était que le contre-coup. » Toutes les révolutions industrielles, écrit-il, sont nées de la convergence entre une nouvelle technologie de communication et un système énergétique émergent. Vapeur et imprimerie au XIXe siècle. Moteur à combustion essence et communications électriques au XXe. La troisième révolution naîtra de la rencontre d’Internet et des énergies renouvelables. Dans le futur selon Rifkin, chaque immeuble sera une mini-centrale énergétique.

« Aujourd’hui, chacun crée sa propre information sur les blogs, souligne-t-il. Dans vingt ans, chacun produira sa propre énergie et la partagera sur ces réseaux intelligents, sur le modèle d’Internet. » Rifkin est un conteur. Il n’est pas le premier à développer l’une ou l’autre de ces thèses, mais il les articule en un mecanno cohérent et pédagogique. « Contrairement au nucléaire ou au pétrole, qui nécessitent des industries centralisées, les nouvelles sources d’énergie sont gratuites et se trouvent n’importe où dans la nature », s’enthousiasme-t-il.

Avec cette énergie « démocratisée », le vieux militant proconsommateurs, prologiciels libres et anti-industries pétrolières retrouve un thème qui lui est cher : le capitalisme « distribué », « collaboratif », « latéral ».

« Prophète aux données discutables »

Ses 19 livres reposent sur une vision, excitante pour les uns, agaçante pour d’autres. « C’est un gars qui fait beaucoup de bruit, mais sur le plan académique… », balance un économiste français, connaisseur des questions énergétiques. « Rifkin est un rêveur, mais il manque de pratique, poursuit un autre, Jean Laherrère, membre de l’« Association for the study of peak oil and gas ». Il fait rêver ses lecteurs, leur laisse penser que l’homme et la technologie auront toujours une solution. Ce qui évite de les préparer à la seule réponse valable : changer de vie pour économiser l’énergie. »

L’Américain s’agace : « C’est là. Ça a déjà commencé. Je dirais à ces intellectuels : “ Sortez de vos livres, voyez ce qu’il se passe dans le monde réel ”. L’Allemagne produit déjà 20 % de son électricité verte et teste un Internet énergétique. Est-ce académique ? Non. Demandez à Siemens, Bosch ou Daimler-Benz : leur pays est déjà engagé dans la troisième révolution industrielle. Une nouvelle génération d’intellectuels, de chefs d’entreprises et de politiques français doit émerger. »

Paru en France en 1996 et préfacé par Michel Rocard, La fin du travail, où il prônait les 35 heures et l’économie sociale, avait créé une violente polémique. « Rifkin est un grand prophète dont les données sont discutables, s’alarme le psychiatre Christophe Dejours. Juste après la publication de son livre, les Etats-Unis retrouvaient le plein emploi et les pathologies liées à la surcharge de travail explosaient… L’idée selon laquelle il n’y aurait plus de travail pour tous a séduit bon nombre d’intellectuels français, mais a semé la peur parmi les salariés qui se sont soumis aux nouvelles formes de domination pour garder leur emploi. » On ne peut interrompre Rifkin. « Laissez-moi développer les cinq piliers qui sous-tendent la troisième révolution industrielle et je répondrai à votre question. »

Flot de parole, phrases clés répétées deux fois, déroulement de son argumentation : grand I, petit a. Il parle devant les militants de Greenpeace quand il combat les OGM, il parle devant les assureurs et banquiers qu’il conseille. Un pied ici, un autre là. Ironie, son père travaillait dans les sacs plastique : la petite entreprise a coulé face à la récente explosion des prix de l’or noir. Rifkin le végétarien a été élevé dans les quartiers ouvriers de Chicago, la ville de l’acier et de la viande en conserve. Le père républicain ne goûtait pas que son fils organise, en 1968, une grande marche sur le Pentagone contre la guerre du Viet-Nam. Dans les années 1980, Rifkin sensibilise Hollywood au changement climatique lors de dîners chez Meg Ryan. En 1997, il dépose une demande de brevet sur la création de « chimères », êtres mi-humains mi-animaux, « pour sensibiliser à la privatisation du vivant ».

Rifkin influence les influents

Time l’a un jour sacré « homme le plus détesté des milieux scientifiques ». La moitié de son livre est pourtant consacrée à la guest list des hommes influents qu’il aurait influencés : les chanceliers allemands Gerhard Schröder et Angela Merkel, le maire de Rome, etc. Rifkin n’est pas naïf : « Nous n’assistons pas à une crise économique. Nous assistons à une crise de l’espèce », dit-il, avant de reprendre des chips. Mais il sait dessiner la vision politique d’un monde où ne régnerait pas la seule résignation. Transformer la réalité de plomb en visions dorées. —


En dates

26 janvier 1945 Naissance à Denver, au Colorado, aux Etats-Unis

1977 Crée la « Fondation pour les tendances économiques », qu’il préside encore aujourd’hui

1980 Sortie américaine de Entropy : A New World View (The Viking Press)

1996 Sortie en français de La Fin du travail (Editions La Découverte)

Février 2012 Sortie en français de La Troisième Révolution industrielle (Les Liens qui libèrent)