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La voiture cherche une bonne prise
lundi, 5 janvier 2009 / Toad , / Matthieu Auzanneau /

Chargé de la prospective et du lobbying au Shift Project, think tank de la transition carbone, et blogueur invité du Monde

L’industrie automobile allume les feux de détresse. Dans un marché en déconfiture, elle répond électrique et technologies propres. Aveu de faiblesse ou réelle croyance dans un futur transport ?

L’industrie automobile est au milieu du gué, et beaucoup se demandent si l’eau n’a pas déjà envahi le moteur. L’effondrement des ventes de voitures est le pire depuis quinze ans en Europe et quatre décennies aux Etats-Unis et au Japon. Outre-Atlantique, les 3 grands constructeurs américains – Ford, General Motors et Chrysler –, déjà lourdement endettés, sont tout bonnement menacés de faillite. En novembre, leurs ventes ont chuté de 47 % par rapport à novembre 2007 ! En Europe et en Asie, des dizaines de milliers d’ouvriers sont contraints au chômage technique. Craignant d’être emportés par le courant de la crise du crédit, les grands groupes mondiaux misent tout sur leurs nouveaux modèles « compacts », économes en essence. Et notamment, grande nouveauté, sur une foule de projets de voitures électriques.

Virage historique ou espoir illusoire ?

Enveloppe maigrelette

Tout en agitant la menace de « destructions massives d’emplois », Carlos Ghosn, le patron de Renault- Nissan, claironne : « La voiture électrique, ce n’est pas pour demain, c’est pour aujourd’hui. » Le deuxième constructeur français n’a pas eu d’autre solution que de changer de cylindrée. La production au dernier trimestre 2008 a été réduite d’un quart et la suppression de 4 000 postes est envisagée pour 2009. Simultanément, Renault annonce qu’il va investir 200 millions d’euros par an afin de commercialiser un modèle 100 % électrique dès le début de la prochaine décennie.

Mais difficile de maintenir de tels investissements alors que la dette de la marque au losange se creuse à vue d’oeil. Elle atteint cette année 3,5 milliards d’euros, pour un chiffre d’affaires de 40 milliards. Or 40 milliards, c’est également le montant des prêts que sont venus réclamer l’ensemble des constructeurs européens à Bruxelles, afin de soutenir les investissements dans les technologies propres. La Commission s’est montrée plutôt chiche : une enveloppe de 5 milliards d’euros et qu’on n’y revienne plus. C’est quatre fois moins que les 25 milliards de dollars (20 milliards d’euros) débloqués en septembre par Washington. Et c’est du coup bien maigre pour faire face à une situation jugée « très critique » par le président de la Commission européenne.

Avec l’automobile, c’est la pertinence même du slogan de la « croissance verte » qui est mise à l’épreuve de l’une des crises économiques les plus abruptes de l’histoire. Au cabinet du ministère français du Développement durable, une conseillère technique clame : « La croissance verte, c’est évident que ça marche. Regardez le succès des bonus écologiques. En France, la part de marché des voitures émettant moins de 120 g CO2 / km est passée de 19 % à 32 % rien qu’entre 2007 et le premier semestre 2008. » Au total, les ventes de voitures neuves en France ne devraient reculer que de 1 % en 2008, contre plus de 10 % en Espagne.

« Un espoir au milieu du brouillard »

Mais la crise ne fait sans doute que commencer. Le porte-parole du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), François Roudier, admet : « Il y a eu un basculement en octobre. En dépit des bonus écologiques, le marché français est désormais rattrapé par la crise financière. » Les nouveaux modèles « propres » seraient-ils capables de contrer la chute ? « Au stade où nous en sommes, c’est hélas très peu probable, reconnaît un analyste du CCFA. Car personne ne sait dans combien de temps le marché se retournera. Les gens n’achètent plus de voitures, qu’elles soient “ propres ” ou pas […] Se concentrer sur les voitures vertes, ce n’est pas une stratégie sûre, juste un espoir au milieu du brouillard. »

Un espoir auquel les constructeurs semblent contraints de s’accrocher. PSA, par exemple, compte encore renforcer son offre de voitures économes, l’une des plus étoffées du marché. Et, bien que le patron de Peugeot-Citroën, Christian Streiff, qualifie la voiture électrique de « tarte à la crème », le premier constructeur français proposera tout de même un modèle hybride diesel-électricité à l’horizon 2010. PSA avait été l’un des tout premiers groupes à parier sur le 100 % électrique dans les années 1990. Son ancien patron, Jacques Calvet, tablait alors sur 200 000 véhicules dès 2005 en France. On en compte seulement 15 000 aujourd’hui.

EDF dispose de la flotte la plus importante, avec 1500 véhicules. EDF a justement signé en octobre un partenariat avec Renault, qui ambitionne de devenir le numéro un d’un marché qui reste à inventer. En Israël, Renault-Nissan planche avec Better Place sur le déploiement d’un demi-million de bornes électriques qui alimenteront une vaste flotte de voitures électriques de location. Le groupe travaille sur des programmes similaires au Portugal, au Danemark et en Australie. La Blue Car de Vincent Bolloré, une voiture électrique qui sera commercialisée dès 2009, est fortement pressentie pour devenir « l’Autolib’ » (l’équivalent des Vélib pour la voiture) envisagée par la Ville de Paris.

Construire une centrale nucléaire

De tels projets pilotes suffisent-ils pour croire à la « révolution » du marché automobile que pronostique Carlos Ghosn ? « La voiture 100 % électrique est destinée aux zones très urbanisées, où il sera facile de recharger », tempère Yves Pichon, chef du projet chez Renault. « La voiture électrique n’est pas prête pour une consommation de masse », alertait cet été Alan Mullaly, le pédégé de Ford. Changer de modèle technologique sera long et coûteux. Et la crise économique, avec toutes les incertitudes qu’elle engendre, se conjugue d’abord au présent. Le moteur thermique a encore de l’avenir. « Il faudrait construire un réacteur nucléaire EPR supplémentaire pour électrifier ne serait-ce que 10 % du parc automobile français », souligne Bernard Rogeaux, du département recherche et développement d’EDF.

N’empêche, la poursuite de l’expansion du parc mondial de véhicules à essence finira par causer de graves problèmes, et pas seulement à l’environnement. Si la Chine devait atteindre le taux d’équipement automobile des pays d’Europe de l’Est, « elle devrait importer plus de pétrole que n’en produit l’Arabie Saoudite », indique Bernard Rogeaux. Pékin s’est fixé un objectif : en 2020, la moitié des voitures vendues en Chine devront rouler avec un moteur électrique. D’ailleurs les Chinois possèdent déjà 20 millions de… vélos électriques. —

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