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Quatre Français en pleine crise
jeudi, 26 janvier 2012 / Marie Molinario , / Julie Lallouët-Geffroy

Quatre Français décrivent la précarité qu’ils vivent au quotidien.

« Les enfants prennent leur douche chez une voisine »

Eric (1), 35 ans, au chômage depuis plusieurs années, vit près de Toulouse (Haute-Garonne) avec sa femme et ses deux enfants.

« Tout est parti d’une erreur de compteur d’eau : nous payions la facture du voisin et vice-versa. On s’est alors retrouvés avec environ 1 000 euros à payer. Depuis, on a dû laisser un peu de côté EDF pour payer la dette HLM. En juin, on nous a coupé l’électricité et le gaz. On s’habitue, on n’a pas le choix. On s’éclaire avec des bougies, un paquet tous les trois jours. Nous avons passé la chaleur de l’été sans eau fraîche, mais le froid de l’hiver, c’est le pire. On a un petit réchaud, acheté 15 euros dans un vide-grenier. Les recharges coûtent 5 euros et tiennent une semaine. On le met pendant une demi-heure dans la chambre des enfants, le soir. Le reste du temps, ce sont les couettes qui tiennent chaud. Je prends ma douche avec de l’eau chauffée au réchaud. On achète beaucoup de conserves qui se chauffent rapidement, pour ne pas trop l’utiliser. Les enfants prennent de temps en temps leur douche chez une voisine que l’on connaît bien. Personne d’autre ne le sait. C’est humiliant. On nous laisse dans le silence, mais je sais que je finirai par trouver du travail. »

(1) Le prénom a été changé.




« Mes mensualités remboursées, il me reste 100 euros »

Christine, 54 ans, a contracté quatre crédits à la consommation. Salariée à Pôle emploi, elle vit à Auvers-sur-Oise (Val-d’Oise).

« Tout a basculé en 1999. Mon mari décide du jour au lendemain de divorcer. J’arrive à garder la maison, mais je dois continuer à rembourser le prêt. Aux mêmes conditions, mais seule. Alors je paie. Rapidement, je contracte un crédit à la consommation. Je me dis que c’est juste en attendant de trouver une solution. Ça ne vient pas, je prends un autre crédit. Ma voiture tombe en panne, il faut en acheter une autre : un troisième crédit. Je gagne 2 000 euros par mois. Une fois que j’ai remboursé mes mensualités pour les crédits, il me reste 100 euros pour l’essence, l’électricité, l’assurance et de quoi manger. Quand j’ai pris un quatrième crédit, on me l’a donné les yeux fermés, alors que je ne m’en sortais déjà plus. Tout le monde me dit que j’ai la solution devant moi, que je n’ai qu’à vendre ma maison. C’est sûr, elle a pris de la valeur, elle est estimée à plus de 430 000 euros. Mais je ne peux pas faire ça. Je rembourse cette maison depuis vingt ans, ce n’est pas pour tout laisser tomber. Cette maison, c’est la seule chose qui me tient debout. Tout ce que je veux, c’est la garder. »




« Je ne suis pas votre esclave »

Nathalie, 33 ans, est étudiante en développement durable à Rennes (Ille-et-Vilaine), après trois ans de CDD à répétition dans la fonction publique.

« Quand j’ai commencé dans l’administration territoriale, c’était génial. Je me suis investie, sans compter mes heures. A Noël, je gère tout le service, mais quand les CDI reviennent de vacances, je n’ai plus de responsabilités. On m’en demande toujours plus. Et puis, il y a la pression : “ Si tu prends des vacances, t’es virée… ” J’ai fait un burn-out. Je leur ai crié : “ Je ne suis pas votre esclave ! ” J’ai perdu du poids, mes cheveux. En juin, je claque la porte mais en m’assurant une sortie : les études. Ce n’est pas un retour en arrière mais une formation. Là commence une autre galère. Les allocations chômage, savoir quelles aides on peut demander, à qui s’adresser : c’est un travail à temps plein. J’ai payé 3 250 euros pour mon inscription à la fac, sans bourse, avec mes 900 euros d’allocations. Aujourd’hui, j’en ai marre de mendier un CDD d’un mois. Je veux un salaire qui compense le fait que je ne puisse pas faire d’emprunt, avoir une retraite, des vacances, des horaires normaux. Les enfants, j’ai fait une croix dessus. Comment je pourrais les élever sans argent, sans stabilité ? »




« Je suis doublement dépendant »

Bernard, 52 ans, vit à Nantes (Loire-Atlantique). Atteint de la poliomyélite depuis l’enfance, il a été rempailleur de chaises pendant quinze ans mais a dû s’arrêter. Il pourrait ne pas bénéficier de l’allocation adulte handicapé (AAH) car sa femme gagne 2 200 euros.

« Depuis que j’ai dû arrêter de travailler, je touche 50 % de mon ancien salaire au titre de l’invalidité, soit 350 euros. Je veux être indépendant financièrement, alors je viens d’envoyer ma demande d’AAH : 743 euros maximum. Mais cette aide est attribuée en fonction des revenus de mon épouse… Je suis mis à l’écart à cause de ses revenus. Je suis doublement dépendant. Je me plains, mais j’ai beaucoup de chance. J’ai grandi avec des personnes valides, je suis marié, j’ai des enfants, mais tout de même. C’est un combat permanent. C’est très difficile d’avoir un emploi parce que les postes ne sont pas aménagés. Pour aller voir un spectacle, il faut passer par une porte dérobée. En septembre, mon fils est entré en CE2 : je n’ai pas pu l’accompagner dans sa classe car il n’y avait pas de plan incliné pour mon fauteuil… Avec la crise, il y a un repli sur soi, un réel racisme envers l’autre. Notre système social en prend un coup. Nous sommes les premiers visés avec la hausse des prix des assurances, des mutuelles. On ne va pas pouvoir payer. »