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Au Laos, les oubliés de la rivière Nam Theun
jeudi, 26 janvier 2012 / Wilfried Guyot /

Photographe indépendant depuis 1996, il a été publié dans La Vie, L’Express, Le Figaro magazine... Son travail s’articule autour du rapport au réel : documenter, rapporter, rendre compte. Depuis trois ans, il enquête sur les mutations au cours dans le bassin du bas-Mékong, en Asie du Sud-Est.

Fierté du gouvernement et d’EDF, qui en est le maître d’œuvre, le barrage de Nam Theun 2 a coûté 40% du PIB de ce pays très pauvre. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont dû quitter leurs habitations. Pour quel avenir ?

Nakai, au lever du jour. Sarong coloré, tongs aux pieds, Tumoni s’avance sur la grève du lac artificiel. Les premiers rayons du soleil irisent l’eau bleutée. Au loin, les silhouettes fantomatiques d’arbres immergés se découpent dans la brume. Paisiblement, la jeune femme arrose son modeste potager. Pour elle, le barrissement des éléphants n’est plus qu’un lointain souvenir : ici, dans le centre du Laos, les villages engloutis par la retenue d’eau se sont assoupis à tout jamais.

Un mode de vie à réinventer

Inauguré en décembre 2010, le barrage Nam Theun 2 a été l’objet de vives polémiques. Il faut dire que l’ouvrage est d’envergure : le complexe hydroélectrique a une capacité installée de 1 070 mégawatts, soit trois fois celle de la centrale du barrage de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes), l’un des géants de l’Hexagone. Son coût représente, lui, 40% du produit intérieur brut du Laos ! Pendant dix ans, le projet a été fermement défendu par la Banque mondiale. Aujourd’hui, 90% de l’électricité produite est exportée vers la Thaïlande, 10% restant affectés au marché local. EDF est maître d’œuvre et partenaire à 35%, tandis que la compagnie publique électrique thaïlandaise – ECAT – et le gouvernement laotien se partagent le reste de l’investissement. Les conséquences de la construction de ce type de barrages sont bien connues : elles sont humaines d’abord. Ici, 30 000 personnes ont été déplacées à la suite de la mise en service du barrage sur la Nam Theun, 3 000 pour ceux construits sur la Xeset, plus au sud. Pour les populations, tout un mode de vie est à réinventer. Pêche, chasse, cueillette et élevage participaient aux revenus des villageois ; l’équilibre de cette société traditionnelle est bouleversé.

Immersion des terres en amont, diminution des sédiments, augmentation de l’érosion en aval du barrage : les effets sur l’environnement sont tout aussi évidents. A long terme, le débit du Mékong, essentiel dans le cycle de reproduction du poisson, s’en trouvera également modifié. Or, rien qu’en Asie du Sud-Est, 60 millions de personnes vivent sur ses rives… Les associations et la Mekong River Commission – une structure internationale qui administre le bassin du fleuve – tentent de promouvoir des solutions durables : création de zones naturelles protégées, dédommagement des populations et aide au développement. Pour ce faire, ils mobilisent experts et acteurs locaux.

Economie de marché

Ainsi à Nakai, le petit dispensaire récemment bâti accueille fièrement ses patients. Sur la digue de Thalang, large sourire et visage avenant, Tum Tum confie, lui, sa satisfaction : « Je capture jusqu’à 60 kg de poissons en une matinée, les pêches sont fructueuses. » En effet, des espèces ont été implantées dans la Nam Theun. Leur négoce approvisionne les étals de Vientiane, la capitale, distante de 300 km. Avec le barrage, au Laos communiste, l’économie de marché fait son nid.


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