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Camille, l’écolo à travers chant
jeudi, 26 janvier 2012 / François Meurisse /

Rédacteur en chef édition

A l’écoute de sa voix, de son corps et de la planète, la jeune artiste a fait du développement durable un de ses chevaux de bataille. Une préoccupation à l’œuvre dans sa vie comme dans son dernier disque. La chanson française respire.

« Le plus beau bisphénol », du « plomb », des « OGM », du « dioxyde de carbone »… C’est le cocktail offert par Camille dès la première chanson de son nouvel album, Ilo Veyou, sorti en octobre dernier. « Vous voulez que je mette votre téléphone en “mode avion” ? Je n’en ai pas à cause des ondes mais ça, je sais le faire. » Ça, c’est l’une des premières phrases prononcées par la chanteuse, lorsque l’interview commence, dans un café près de la Maison de la Radio, à Paris. On était venu voir la jeune mère, intrigué par quelques déclarations estampillées « développement durable ». La voilà qui se présente sous son versant « principe de précaution ». Une démarche calculée ? Un créneau porteur quand les actrices investissent le champ des robes en coton bio et les sportifs celui des « vagues qui rendent humble » ? Raté. La chanteuse n’a rien de ces people qui s’affichent en vert mais prennent des jets privés comme d’autres le TER, qui sont prêts à tout pour « sauver le planète »… du moment que ça ne change pas leur vie.

Non, Camille, indéniablement, maîtrise son sujet écolo sur le bout des doigts. Même si elle le nie : « Tout le monde s’y connaît à partir du moment où on est des organismes vivants. On fait partie d’un microcosme, d’un écosystème. Il faut commencer par soi. » Jeremiah, ami et réalisateur de ses vidéos depuis quatre ans, ne dit pas autre chose : « Elle est très à l’écoute d’elle-même. Elle est originale au sens premier : elle revient aux origines. »

Son abandon du téléphone est symptomatique : « Jusqu’à 20-25 ans, j’avais mal à à la tête, à l’oreille. Je me suis interrogée, renseignée et j’ai arrêté le portable. » Depuis, elle s’est penchée sur l’influence des micros HF qu’elle utilise sur scène. D’elle-même jusqu’au monde, elle fonctionne par cercles concentriques. Alimentation bio, emballages, circuits courts : « Il s’agit de voir quelle portée ont les choses, de connaître son environnement. » Elle cherche désormais à organiser ses prochaines tournées – des « catastrophes écologiques » – de manière différente : prendre le train, éviter les grandes chaînes hôtelières et leur « faux luxe ».

Le souffle au corps

Mais après dix ans de carrière et quatre albums studio, Camille ne s’est pas muée en militante. D’ailleurs, même si elle apprécierait que « les écolos gagnent les élections », elle estime que « ce sont les industriels qui ont le pouvoir ». Elle est une fois pour toutes chanteuse. Une de celles qui se souviennent que la voix est le tout premier instrument. Alors elle expérimente : onomatopées, plongeons dans les graves, décollages vers les aigus. Sur disque comme sur scène, Camille, c’est surtout un souffle au corps, chevillé. Inimaginable dans une production grand public toujours plus aseptisée, ses chansons font exister les respirations. On entend sa bouche, ses lèvres, sa glotte, sa gorge. La redécouverte de sa voix date de ses – brillantes – études : hypokhâgne au lycée Henri-IV, Sciences-po.

« Il y a quelque chose de très compétitif, il y a une violence dans cette scolarité à la française, très cérébrale. » Le chant, lui, remplit tout autant l’esprit et parle au corps, explique celle qui, comédienne aussi, n’hésite pas, entre deux réponses, à faire quelques étirements calculés, à tordre son cou pour le reposer. En 2002, son premier album la met sur orbite mais c’est le suivant, Le Fil, qui l’installe, trois ans après, comme une artiste qui compte. Près de 500 000 exemplaires vendus et un concept limpide : des chansons presque a cappella, posées sur un long bourdonnement, qui s’étend pendant plus de trente minutes. Un disque aérien et aéré.

« Aujourd’hui, à la radio, le son est décentré, compressé. On peut faire une analogie avec le compost. Comme la musique, il a besoin d’air, sinon la terre devient stérile. » Camille n’a pas peur de taper sur l’industrie du disque – « masculine » – quand son art serait, lui, féminin, « comme la terre », dit-elle, faisant siennes les positions de Coline Serreau dans son dernier film, Solutions locales pour un désordre global, qu’elle a vu et apprécié. Pour autant, elle accepte et assure, bon an mal an, ses obligations professionnelles de promo.

Elle flirte aussi avec un rien de cabotinage, quand elle se lance, sous l’œil complice d’une caméra, dans un petit numéro du duettistes avec le chanteur Charlie Winston, passé par hasard en pleine interview. Elle assume ses contradictions car « le paradoxe est vital ». Après tout, « les villes ou les aires d’autoroute sont parmi les lieux où il y a le plus de biodiversité ! »

Chorale d’enfants rigolards

Mais attention, dans Ilo Veyou, il n’y a pas que de l’air. Il y a aussi des ballades poignantes – « Wet Boy » et ses échos de Joni Mitchell –, du R’nB minimaliste… et beaucoup d’humour. Chorale d’enfants rigolards, tordante parodie de chanteuse réaliste : on peut franchement rire à écouter Camille. « Sur disque, je m’amuse à en faire plus avec moins. » Elle souhaiterait d’ailleurs que l’aspect épicurien, jubilatoire ne soit pas oublié par les écologistes. Une dernière anecdote racontée par Jeremiah : « En ce moment, je suis en train de monter une vidéo d’un concert dans une Fnac, où elle essaye de convaincre les gens de ne pas prendre de sacs plastique à la caisse… Et ça ne marche pas du tout ! », se marre-t-il franchement. Dans ses chansons, comme dans ses combats, Camille ne manque pas d’air. Tant mieux. 

En dates

1978 Naissance à Paris

2002 Valide son premier album, Le Sac des Filles, comme stage de fin d’études de Sciences-po

2005 Sortie de son deuxième album, Le Fil

2007 Double le personnage de Colette dans le film d’animation Ratatouille

2009 Reçoit la Victoire de la musique de l’artiste interprète féminine de l’année

2010 Naissance de son fils

2011 Sortie de Ilo Veyou