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Travail des enfants et cacao : les deux font (encore) la paire
jeudi, 5 janvier 2012 / Alice Bomboy /

Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

L’industrie emploie des millions d’enfants dans les plantations cacaoyères. Dix ans après le protocole tentant d’enrayer cet esclavagisme moderne, tout reste à faire.

Pas sûr que les enfants aient tous apprécié le chocolat que nous avons joyeusement dévoré pendant les fêtes de fin d’année. En Afrique de l’Ouest surtout, cette douceur n’a en effet rien de plaisant : elle est avant tout synonyme de travail pour plusieurs millions d’entre eux... En 2001, l’industrie chocolatière avait pourtant signé le protocole Harkin-Engel, s’engageant à éliminer les pires formes de travail des enfants et le travail forcé. Dix ans plus tard, des études montrent que rien n’a changé.

De l’esclavage moderne

« Les familles qui achètent du chocolat, sous une forme ou une autre, doivent savoir qu’une grande partie de ces produits sont issus de ce qui peut être considéré, en substance, comme de l’esclavage d’enfants. » En septembre dernier, devant les caméras de CNN, le sénateur de l’Iowa Tom Harkin n’y va pas par quatre chemins pour dénoncer l’échec du protocole qu’il a lui-même instigué, une décennie auparavant. Non seulement Nestlé, M&M’s, Hershey’s et autres grands producteurs de chocolat n’ont pas tenu leurs objectifs dans le délai de quatre ans initialement prévu par le protocole, mais ils n’ont pas non plus réussi à relever la barre avant 2011, année à laquelle l’échéance avait été repoussée. Résultats : la plupart des papillotes qui ont garni nos chaussons cette année avaient tout sauf le goût de l’équité.

Des enfants maniant la machette

Pou savoir l’enfer que vivent les mômes employés par l’industrie chocolatière, il faut lire l’étude des chercheurs de la Tulane University, installée à la Nouvelle-Orléans, aux Etats-Unis. Entre 2007 et 2009, le gouvernement américain les a envoyé mener l’enquête dans les pays concernés par le protocole. Au Ghana et en Côte d’Ivoire, en Afrique de l’Ouest, le travail des enfants dans les exploitations de cacao ne peut pas être un mystère : la moitié des enfants issus de familles paysannes travaillent dans l’agriculture, et parmi eux 25% à 50% triment dans des plantations de cacao... Les comptes sont aussi salés que le chocolat est sucré : pas moins de 1,8 million d’enfants courbent ainsi l’échine dans ces deux pays pour produire notre cacao... Le Bureau d’Etat Américain estime quant à lui que plus de 100 000 petits Ivoiriens subissent les effets des pires formes de travail dans les fermes cacaoyères de leur pays. Au programme de leurs journées harassantes, des tâches qui leur esquintent la santé : des charges bien trop lourdes à porter sur le dos, l’ouverture de cabosses (le fruit du cacao) à coups de machettes, etc. Le tout réalisé dans un environnement bien souvent arrosé de produits chimiques.

Pour contrer ce mal qu’elle ne maîtrise pas, l’industrie chocolatière se réfugie derrière les écoles, les hôpitaux, les indemnisations et autres projets qu’elle met en place sur le terrain. « Inefficace ! », rétorquent les enquêteurs américains. Si ces initiatives bénéficient bien à quelques milliers d’enfants, ils touchent très peu ceux suant dans les plantations : selon eux moins de 5% des enfants habitant dans les régions cacaoyères auraient vu la couleur de ces projets, ne serait-ce qu’une fois dans leur vie...

La « 10 Campaign » relance le combat

Pour les ONG, il y a en effet un hic dans le protocole Harkin-Engel : ce sont les entreprises qui définissent elles-mêmes les limites de leurs responsabilités... Ecoeurées par ces relents de green et de social-washing, plusieurs d’entre elles ont lancé la 10 Campaign, une campagne marquant l’échec des dix ans du protocole, mais aussi le début d’une offensive plus agressive à l’égard des gouvernements des pays importateurs de cacao et des entreprises. Exigence phare : instaurer une certification indépendante des produits chocolatés, et non pas mise en place par les entreprises elles-mêmes...

L’initiative semble avoir faire mouche : habituée à défendre « la bonne volonté du secteur qui malheureusement ne récolte pas tous les fruits escomptés », Joanna Scott, du Global Issues Group, une coalition de sociétés cacaoyères et chocolatières, a elle-même récemment avoué l’échec de l’industrie chocolatière. « Vous avez absolument raison. Les progrès ne sont pas suffisants, nous devons faire plus », a-t-elle déclaré sur CNN.

Les moyens, eux, en tout cas, ne manquent pas : entre 2001 et 2011, alors que le protocole restait mort-né, plaquettes, barres, poudres et autres produits chocolatés ont rapporté un pactole de 1 000 milliards de dollars (773 milliards d’euros) de chiffres d’affaires aux industries du chocolat. En attendant qu’elles mettent enfin la main à la poche, une seule solution : croquer du chocolat équitable, le seul garantissant que vous ne cautionnez pas les pires formes de travail des enfants.