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L’homme qui tombe à peak
jeudi, 29 décembre 2011 / Matthieu Auzanneau /

Chargé de la prospective et du lobbying au Shift Project, think tank de la transition carbone, et blogueur invité du Monde

Une nouvelle d’anticipation de Matthieu Auzanneau autour du pic pétrolier, illustrée par François Supiot. Episode 1/4.

Papa, s’il te plaît, arrête ! » Ecœurée, Camille détourne le regard du carnet sur lequel, ce soir encore, son père griffonne avec frénésie. « Ces p… de vieilles chimères… », souffle-t-elle. Le vieux physicien riposte. « L’énergie du vide, c’est la clé ! On peut extraire une énergie absolue de la matière sombre de l’univers, si… » Camille explose : « Ça suffit ! Un tiers des centrales du pays sont à l’arrêt. Y a plus assez d’uranium, plus assez de pièces de rechange : les systèmes logistiques tombent en carafe les uns après les autres ! Même les armateurs commencent à faire faillite, et l’armée est trop prise à occuper les puits de pétrole du pôle Nord pour faire le fret. Le carburant, les plastiques, l’asphalte, les graisses, les colles, tout manque ! Bientôt ça sera les polymères qui enrobent les pilules d’iode ! Quand comprendras-tu qu’il n’y a plus assez de pétrole pour continuer à faire des expériences nucléaires ? »

Sans attendre la réponse, la jeune femme s’échappe hors de la yourte. Elle s’oblige à ne pas lever les yeux vers la masse atterrante de la tour de refroidissement inachevée d’Iter. Ses pas la conduisent machinalement jusqu’au grand potager. Avec le crépuscule, la touffeur du mois d’octobre s’estompe au-dessus de la Provence ; la petite mousson est presque supportable, cette année. Camille se calme en caressant les grandes feuilles de cardon.

« Iter, en latin ça veut dire le “ chemin ”… Non mais quelle blague ! », se dit Camille, sans doute pour la millième fois. Iter devait fournir à l’homme « la puissance du soleil », comme on disait dans les journaux au lancement de son chantier en 2008. Le réacteur de fusion thermonucléaire expérimental de Cadarache gît maintenant comme un très gros animal blessé à mort. Dieu merci, la milice du consortium nucléaire international continue à assurer la sécurité autour de l’enceinte du complexe. Ça évite de trop penser aux vagabonds suburbains venus d’Avignon ou de Marseille qui rôdent la nuit aux alentours.

Maintenant Camille marche à travers les champs agroforestiers génétiquement adaptés, entre l’enceinte extérieure et les baraquements construits à la hâte, pendant les mois de chaos qui ont suivi la « Grande Crise terminale » de l’euro. Les troisièmes récoltes de l’année s’annoncent généreuses. Cette pensée rassure Camille, qui rebrousse chemin.

Retrouvez le deuxième épisode de cette nouvelle exclusive le mois prochain.