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« Les penseurs visionnaires craignent une guerre »
mardi, 6 décembre 2011
/ Alice Audouin / Responsable développement durable en entreprise, auteure du roman "Ecolocash" (Anabet) en cours d’adaptation au cinéma, de "La Communication Responsable" (Eyrolles) et présidente de l’association COAL, la Coalition art et développement durable, qui organise le Prix COAL Art & Environnement. |
Peu d’intellectuels pensent la crise de manière globale, à l’exception d’une poignée d’« éclaireurs », estime Jean-Michel Valantin, chercheur spécialisé en environnement.
Alice in Warmingland : Les éclaireurs de la crise globale sont-ils des intellectuels comme les autres ?
Jean-Michel Valantin : Non, leur rareté indique leur différence. A l’heure d’une hyper spécialisation de la pensée, ils savent réfléchir à une échelle globale et sont donc bien placés pour analyser la crise à venir qui est de nature globale, car multifactorielle. Ils réfléchissent en amont, à partir de plusieurs variables, comme l’économie, le climat, les ressources naturelles, la finance, l’agriculture, la santé, la sécurité en comprennent les croisements et les effets domino en cours. Ils ont bien sûr souvent une spécialisation au départ, comme la défense, la géopolitique, la philosophie, la sociologie, l’urbanisme ou l’histoire, mais ils les éclairent avec d’autres champs. Par ce jeu d’interactions entre différentes disciplines, ils aboutissent tous au même cocktail explosif, une crise globale sans précédent à l’échelle de la planète. Ils diffèrent en revanche sur les capacités de réaction et de résilience des hommes face à cette crise. Deux camps se dessinent, les optimistes et les pessimistes.
J. Howard Kunstler, urbaniste, spécialisé sur les grandes banlieues américaines qu’il considère comme « le plus grand gaspillage de ressources de l’histoire humaine », part d’un angle plus atypique. Il décrypte les interactions entre environnement, société et sécurité à l’échelle planétaire. Il appelle notre XXIème siècle « le siècle de la longue urgence », dans lequel les problèmes de changement climatique, de crise des hydrocarbures, de pénurie d’eau et de nouvelles pandémies, vont entrer en synergie, ce qui aboutira à une grande fragilisation des sociétés. Cela posera selon lui inévitablement des questions de sécurité et de défense, car il faudra assurer l’accès à la nourriture et gérer les conflits.
Une fois la crise planétaire arrivée, comment les sociétés réagiront-elles ? Y aura-t-il forcément des conflits ?
Je reformule la question, les questions environnementales vont-elles entraîner la guerre ou la paix ? Malheureusement la plupart de ces visionnaires penchent pour la guerre. Jacques Blamont, ancien directeur du CNES (agence française de l’espace, ndlr) et responsable du programme Ariane, montre bien le risque de convergence entre les évolutions environnementales et les nouvelles évolutions technologiques stratégiques, comme le problème de la prolifération des armes nucléaires. Le risque, c’est que les inégalités augmentent. Les territoires du Nord, selon lui mieux préparés, seront une valeur refuge, un lieu probable de résilience, tandis que ceux du Sud subiront de plein fouet la crise. Tout cela risque de générer une montée des agressions asymétriques, le Sud se retournant alors contre le Nord. On risquerait ainsi d’aboutir à deux mondes totalement séparés, l’un préservé, comprenant l’Amérique du Nord et l’Europe de l’Ouest, et l’autre, c’est-à-dire le reste du monde, durement touché, sous tension. Pour continuer à se préserver, des stratégies de plus en plus dures seraient mises en place par les pays du Nord. Et les tensions idéologiques ne pourront que se renforcer.
Enfin, Jeremy Rifkin, en proposant une lecture de l’humanité sous l’angle de l’empathie, ouvre également une voie d’espérance. Il est convaincu que l’empathie est une donnée constituante de l’homme qui pourra le sauver de la catastrophe ou en tout cas lui permettre d’agir avec plus de solidarité au moment de la catastrophe. Bien sûr, Edgar Morin, en appelant lui aussi à une réaction éthique, participe de ce mouvement.
A l’exception d’Edgar Morin, aucun auteur dans cette liste n’est connu du grand public, c’est inquiétant. N’y a-t-il donc pas aujourd’hui, parmi les intellectuels médiatisés, de visionnaires aptes à prévenir de ce qui arrive ?
Les intellectuels les plus audacieux, les plus lucides et les plus tournés vers les temps présents à venir, sont ceux qui sont les mieux outillés pour penser la crise. Ce ne sont donc pas ceux, très nombreux, qui se consacrent à revisiter encore et encore l’histoire de la philosophie. Parmi les intellectuels médiatisés, Peter Sloterdijk et Slavoj Zizek sont selon moi les plus pertinents. Ils ont une approche à la fois extrêmement lucide et multifactorielle. Des penseurs renommés comme Christopher Lash, Karl Polany, Norbert Elias, ou aujourd’hui dans un autre registre, par exemple Jared Diamond, avec son fameux ouvrage Effondrement, dans lequel il analyse l’extinction de certaines civilisations du fait de la raréfaction des ressources conjuguée à des décisions politiques inadaptées, offrent tous une approche consciente de la fragilité de l’édifice sur lequel nous avons bâti nos sociétés.
Une fois au courant des scenarii tragiques, que faire ? Sublimer l’angoisse qu’ils génèrent et la transformer en action. Il faut tout faire pour que les pires scénarii n’arrivent pas, et pour cela nous devons nous en croire capables, même si une augmentation de la température moyenne de 2°C est aujourd’hui une très forte possibilité. Nous devons avancer parallèlement sur deux fronts, l’adaptation à la crise et la lutte contre les facteurs aggravant les changements d’ores et déjà engagés. Nous devons réagir vite et bien à tous les niveaux, à une échelle personnelle, communale, départementale, régionale, nationale et internationale. La bonne nouvelle, c’est que cette dynamique est enclenchée.
Les livres-éclaireurs de la crise globale
The Race for What’s Left : The Global Scramble for the World’s Last Resources, Michael T Klare, 2011.
Something New Under the Sun : An Environmental History of the Twentieth-Century World, John Mc Neil, Penguin Books, 2000.
Future History of the Artic, Charles Emmerson, The Bodley Head, 2010.
Introduction au siècle des menaces, Jacques Blamont Odile Jacob, 2004.
Oilopoly, Marshal Goldman, Onworld Publication, 2010.
Climate Wars, Gwynne Dyer, Oneworld Publications 2010.
The Long Emergency : Surviving the Converging Catastrophes of the Twenty-First Century, James Howard Kunstler, Atlantic Books, 2005.
Resource wars, The New Landscape of Global Conflict, Micheal T Klare A Metropolitan/Holt Paperbacks Book, March 2002.
Rising Powers, Shrinking Planet, The New Geopolitics of Energy, Michael T Klare, Holt Paperbacks, March 2009
Les horizons terrestres ; réflexions sur la survie de l’humanité, André Lebeau, Editions Gallimard, collection « Le débat », Paris, 2011
Ouvrages de Jean-Michel Valantin
Hollywood, Le Pentagone et Washington, Editions Autrement, 2003, 2010.
Ecologie et Gouvernance Mondiale, Editions Autrement, 2007.
Menaces climatiques sur l’ordre mondial, Lignes De Repères Editions, 2005.
Cette interview a initialement été publiée sur le blog Alice in Warmingland d’Alice Audouin.
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