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« Nous vivons une ère de post-mondialisation »
mercredi, 30 novembre 2011 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

La mondialisation a pris un nouveau tournant. Est-ce l’heure de relocaliser ? De démondialiser ? Découvrez et commentez par ici l’analyse étonnantes de l’économiste Elias Mouhoub Mouhoud.

Elias Mouhoub Mouhoud enseigne l’économie internationale à l’université Paris-Dauphine.

L’économie locale s’impose comme l’un des thèmes de la campagne présidentielle. Selon notre enquête, les Français interrogés plébiscitent le made in France. L’économie locale a-t- elle une seconde chance aujourd’hui ?

Nous sommes en train de vivre une ère de « post-mondialisation » parce que les facteurs qui ont porté la mondialisation s’effritent aujourd’hui. Les coûts de transport augmentent petit à petit, tout comme les coûts de main-d’œuvre dans les pays à bas salaires, qui connaissent une croissance rapide. J’estime que dans six à dix ans le différentiel de salaire entre l’Europe et les zones côtières chinoises sera comblé.

Atol, Smoby, Meccano... Ces entreprises ont choisi de relocaliser. Peut-on en faire des modèles pour l’économie des territoires ?

Ce n’est pas si simple. Si on se penche sur le profil des entreprises qui reviennent, on constate que ce sont le plus souvent des entreprises des secteurs manufacturiers (textile, cuir, habillement) ou de services supports aux entreprises (centres d’appel) qui ont échoué dans leur stratégie de délocalisation. Elles sont parties pour bénéficier du bas coût de la main-d’œuvre à l’étranger, mais elles ont perdu sur la qualité du produit final. De plus, elles se sont éloignées du marché européen, et ont perdu en capacité à innover et à répondre rapidement à la demande, faute de personnel qualifié sur les zones de production.

On a par exemple vu Les Taxis bleus revenir en France parce qu’ils ont perdu des parts de marché quand leur centre d’appel est parti à l’étranger. Par ailleurs, cela reste un phénomène minoritaire à l’échelle des entreprises françaises, mais également à l’échelle des délocalisations. Le ratio entre les firmes qui relocalisent et celles qui délocalisent reste constant, de l’ordre d’une pour vingt. La plupart des délocalisations concernent des entreprises qui font des investissements directs à l’étranger pour y vendre des produits et n’ont pas de raison de revenir.

Ces retours n’ont-ils aucun impact positif sur l’emploi ?

Les entreprises qui reviennent doivent trouver une alternative à l’avantage que représentait la main-d’œuvre à bas coût à l’étranger. Cette alternative, ce sont des techniques qui permettent de remplacer le travail. Elles optent notamment pour l’automatisation de l’assemblage, qui est la phase la plus coûteuse en travail. Cela veut dire que l’entreprise relocalisée comptera beaucoup moins d’emplois qu’avant sa délocalisation.

Ces entreprises recréent quelques emplois – assez qualifiés – d’opérateurs, de gestionnaires des interfaces, de commerciaux mais elles ne recréent pas les emplois détruits. Au mieux, la relocalisation a un impact indirect sur les sous-traitants locaux. Mais encore faut-il qu’elle soit de taille. Or, certaines firmes se contentent de ne relocaliser qu’une partie de la production – les produits haut de gamme et innovants – pour en faire un argument marketing. Le reste est sous-traité à l’étranger, sans effet sur l’emploi en France.

Verser des primes aux entreprises qui relocalisent est donc une erreur ?

D’abord, on n’aide pas les entreprises qui sont restées et pour moi, on a là un problème de distorsion de concurrence. Financer les entreprises qui ont délocalisé mais veulent revenir, c’est donner de l’argent à des sociétés qui n’ont pas besoin d’aide. Elles reviennent parce que c’est leur intérêt. Indépendamment des aides. Ce système risque en outre d’attirer des entreprises nomades, chasseuses de primes. Celles qui ont joué le jeu du « comportement de marge », c’est-à-dire celles qui produisent à l’étranger sans baisser ou presque le prix de vente pour garder leurs marges, continueront à délocaliser tant qu’elles gagnent sur tous les tableaux.

Si on leur offre des cadeaux fiscaux, sociaux, immobiliers, elles reviendront en partie mais repartiront une fois les aides terminées. Je suis donc très critique concernant les 200 millions d’euros d’aides qui ont été versés sous forme de prêts bonifiés, à la suite des états généraux de l’industrie en 2010. Je note d’ailleurs qu’il existait déjà un « crédit d’impôt relocalisation », lancé en 2005 et qui, à ma connaissance, n’a jamais été utilisé par les entreprises.

Vous semblez pessimiste. Ne peut-on plus changer la donne ?

Au contraire, je pense qu’une économie plus locale est possible. Mais la relocalisation vu comme un « re-made in France » à pas forcés n’est pas la solution. On inverse les choses en essayant de faire revenir les entreprises qui sont parties. Ce n’est pas la bonne logique. Il faut interroger en amont notre manière de produire, pour renforcer l’innovation et les productions locales, et éviter que nos entreprises partent. Une bonne partie des entreprises relocalisent parce qu’elles ne parviennent pas à suivre la course à l’innovation en délocalisant.

Non pas à cause de la distance géographique, mais parce qu’elles perdent le lien avec le personnel qualifié et les savoirs locaux. L’avantage d’une entreprise sur sa concurrence, c’est en bonne partie son territoire, avec les infrastructures et les travailleurs qui y sont attachés. Si on met le paquet sur ces avantages locaux, on peut faire venir et surtout faire rester des entreprises pérennes. C’est bien mieux que de faire revenir des entreprises avec peu de main-d’œuvre, attirées par les primes.

Quelles solutions défendez-vous ?

Il faut mettre le paquet sur les besoins locaux, à savoir les infrastructures de transport et de télécommunication, la logistique, mais aussi les centres techniques, qui ont un pouvoir trop faible aujourd’hui. Il faut également financer la formation pour aider à diversifier les secteurs. Je propose aussi d’aider à la mobilité vers les territoires et les secteurs où on manque de main-d’œuvre.

Un fonds d’ajustement de la mondialisation pourrait financer des logements, des crèches, de la formation pour que les salariés soient plus mobiles sur les territoires. Enfin, il faut aussi favoriser les regroupements de PME (les petites et moyennes entreprises, ndlr) qui sont aujourd’hui atomisées face aux grands distributeurs. Sinon les grands distributeurs font la loi, dictent des bas coûts et donc favorisent les délocalisations.

Pensez-vous que la France a les moyens de financer ces idées ?

Oui. Si on mobilisait toutes les aides qui sont versées directement aux entreprises à travers notamment le saupoudrage d’exonérations de charges – qui sont des solutions peu efficaces –, on aurait d’énormes sommes à concentrer sur des cibles clés. Il faut arrêter de financer les entreprises et se concentrer sur les territoires.

La solution s’appelle-t-elle démondialisation ? Protectionnisme ?

Dire : « Ce sont les Chinois qui sont responsables de nos maux donc on va mettre des barrières aux frontières » me semble très simpliste. Ne serait-ce que parce qu’un protectionnisme aux frontières européennes ne frapperait qu’un tiers des échanges commerciaux de l’Union européenne. Par ailleurs, il ne résoudrait pas les problèmes structurels de nos économies. Si l’on se penche sur les chocs de la mondialisation, on note que leurs conséquences sont surtout locales.

A l’échelle nationale, seul un emploi détruit sur 300 dans l’industrie manufacturière est dû aux délocalisations. Les 299 autres sont dus aux gains de productivité ou à la rationalisation. En revanche, des zones peuvent être dévastées par une seule délocalisation. La raison est claire : 20 % des zones d’emplois en France sont monospécialisées dans des secteurs concurrencés par les pays à bas salaire. Le problème est là, d’autant plus que d’un autre côté, 40 % des zones d’emplois sont en difficulté de recrutement. Il faut une solution à ce problème. En finançant notamment la formation et la mobilité.

Beaucoup de consommateurs disent vouloir changer la donne par leurs achats mais ont du mal à se repérer...

Il y un gros manque de réglementation sur l’origine des produits. Depuis 1987, on a supprimé l’obligation d’indiquer le « made in » dans la plupart des produits (sauf pour les produits alimentaires, ndlr). Aujourd’hui des entreprises vendent des produits made in France, alors qu’ils y ont seulement été assemblés. Décathlon dit avoir relocalisé des vélos mais ils n’ont relocalisé que l’assemblage et réimportent les composants pour les assembler dans les ateliers ! Le prix n’est pas non plus une bonne indication. Les chaînes d’habillement font totalement sous-traiter jusqu’à 70 % de leurs produits, mais vendent au prix de production français.

Sur certaines chemises Abercrombie à 60 dollars, la marge est de 50 dollars ! Il n’y a que 9 dollars de recherche en marketing, et 1 dollar pour la production. Il est donc très compliqué d’établir des stratégies en tant que consommateur. Il faudrait, comme aux Etats-Unis, que des associations mènent des recherches sur l’origine des biens intermédiaires pour mieux cerner la chaîne de production et la traçabilité des produits. Il faudrait surtout re-réglementer la chaîne de production, pour clairement identifier le vrai made in France. Mais, là encore, il faudrait avant développer la production made in France, et se doter d’un tissu industriel solide.


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