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Nucléaire : les étranges calculs de Monsieur Proglio
mardi, 22 novembre 2011 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Selon le pédégé d’EDF, un million d’emplois seraient menacés en cas de sortie de l’atome. D’où sort ce compte à dormir debout ? « Terra eco » brandit la calculette.

« En cas de sortie du nucléaire, un million d’emplois seraient mis en péril. » Le chiffre, lancé par Henri Proglio, pédégé d’EDF, a fait l’effet d’une bombe. Et pour cause. Pour comparaison, 3 millions de personnes travaillent dans le secteur industriel en France. Et 2,78 millions cherchent un emploi. Le patron du géant électricien français annonce tout simplement un cataclysme pour l’emploi dans l’Hexagone. Mais comment diable arrive-t-il à ces résultats ? Interrogé par des lecteurs du Parisien le 9 novembre dernier, il a sorti sa calculette. Et peut-être même fait l’addition de tête, puisque ses chiffres tombent tous très rond.

Le patron a fait la somme des « 400 000 emplois directs et indirects de la filière », des « 500 000 emplois dans les entreprises (…) très gourmandes en énergie qui risqueraient de partir à l’étranger », mais aussi des « 100 000 emplois futurs provenant du développement du nucléaire mondial à partir de la France ». Sur le plan comptable, le calcul est juste. Mais d’où viennent ces chiffres ? « Ils sont issus des calculs d’économistes d’EDF », assure-t-on chez l’électricien, sans plus de précision. Terra eco a donc dégainé son alter-calculette.

« 400 000 emplois directs et indirects dans la filière nucléaire en France » : PRESQUE VRAI

Le chiffre est semblable à ceux d’une étude du cabinet PwC (PricewaterhouseCoopers), réalisée pour Areva en juin 2011. Celle-ci estime le « poids socio-économique » de la filière à 410 000 emplois en France. Elle comptabilise les emplois directs (les 125 000 salariés des 450 entreprises du nucléaire en France) et indirects (sous-traitants et partenaires). Mais elle comprend aussi les jobs induits, c’est-à-dire ceux qui dépendent des dépenses de l’ensemble de ces salariés. Un ajout non mentionné par Henri Proglio mais qui fait bien sûr gonfler le résultat final.

« 500 000 emplois dans les entreprises qui risqueraient de partir à l’étranger » : TRÈS FAUX

Il est vrai que des entreprises aiment la France pour son prix réglementé de l’électricité. L’Uniden (Union des industries utilisatrices d’énergie) s’est d’ailleurs fendue d’un communiqué pour expliquer ses craintes pour l’activité industrielle en cas de sortie du nucléaire. Mais ces entreprises pèsent-elles 500 000 emplois ? Non. Henri Proglio a eu la main lourde sur le sujet. Il n’y aurait en fait que 233 000 salariés dans ce secteur, selon les calculs du magazine Usine nouvelle.

Et ces entreprises peuvent-elles vraiment délocaliser ? Non plus. Beaucoup d’industries grosses consommatrices d’énergie sont par nature locales, notamment dans le bâtiment. D’autres nécessitent des savoirs de pointe et auraient peu d’intérêt à quitter la France, avance le même magazine. Enfin, le patron d’EDF sous-entend que seule une sortie du nucléaire ferait grimper le prix de l’électricité. Une assertion qui reste à prouver.

« 100 000 emplois futurs » non créés. FAUX

On ne sait pas d’où sort ce calcul. Mais le chiffre paraît énorme : c’est presque autant que l’ensemble des emplois directs du nucléaire en France, ou encore deux fois plus que le total des salariés d’Areva dans le monde. Autant dire qu’Henri Proglio est très ambitieux pour sa filière. Par ailleurs, il fait comme si aucune énergie ne viendrait remplacer le nucléaire dans le plan des partisans d’une sortie de l’atome.

Marc Jedliczka, porte-parole de l’association Négawatt, qui a bâti un scénario pour une transition énergétique, s’insurge : « Ce calcul est complètement mensonger. D’une part, il est largement excessif : les centrales nucléaires ne s’arrêteront pas du jour au lendemain et de toute façon le démantèlement demandera des milliers d’emplois qualifiés pendant des dizaines d’années : les salariés du nucléaire n’ont rien à craindre pour leur emploi ! Par ailleurs, il ne prend pas du tout en compte les emplois nouveaux qui seraient créés par la transition énergétique : nous avions estimé en 2006 leur nombre à plus de 600 000, nous sommes en train de revoir nos chiffres et les publierons quand ils seront validés. »

BILAN DU JEU DE LA VÉRITÉ

Henri Proglio s’appuie sur certains chiffres valables, et sur d’autres franchement contestables. Mais surtout, il fait son addition sans tenir compte de ce qui se passerait si d’autres énergies remplaçaient l’atome. D’où ce résultat fantaisiste. Avec 75% de l’électricité d’origine nucléaire en France aujourd’hui – record du monde – l’atome pèse bien sûr beaucoup dans l’emploi hexagonal. Et changer de cap ferait perdre leur job à de nombreuses personnes. Mais la transition créerait d’autres filières, au moins aussi intensives en emplois. Ce genre de choix n’est décidément pas affaire de calculette.