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Combien coûterait l’arrêt du nucléaire en France ?
mercredi, 9 novembre 2011 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

750 milliards d’euros selon le Commissariat à l’énergie atomique, 400 milliards pour les industriels et rien d’après les associations... Tour d’horizon des divers scénarios.

Inenvisageable il y a encore quelques mois, la sortie du nucléaire est en passe de s’imposer au menu de la campagne présidentielle de 2012. Après la catastrophe de Fukushima, et les décisions de sortie de plusieurs voisins européens, le sujet est l’objet de nombreux débats en France. Depuis quelques jours, l’heure est à la bataille de chiffres entre partisans et opposants. Terra eco fait le point sur les calculs de chacun.

- 750 milliards d’euros, selon le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) :

Dans une interview au Figaro, Bernard Bigot, le patron du CEA, estimait le coût d’une sortie du nucléaire à 750 milliards d’euros. Le dirigeant se basait en fait sur des calculs réalisés en Allemagne. Outre-Rhin, le coût d’une sortie totale a été estimé à 250 milliards d’euros en dix ans, en incluant la construction de nouvelles installations de production, les subventions pour les énergies renouvelables ou encore le démantèlement des centrales installées. Et le dirigeant s’est contenté de tripler la facture allemande, puisque la France compte trois fois plus de réacteurs que son voisin.

Bilan : C’est la vision la plus pessimiste mais aussi la moins précise. Se contenter de multiplier le coût allemand par trois n’est pas satisfaisant, en sachant que les deux pays n’ont pas les mêmes réseaux électriques, pas le même niveau de subvention, et pas le même avancement dans les énergies renouvelables. Pour un scénario officiel plus rigoureux, on attend en janvier prochain les résultats de la commission baptisée Energie 2050, chargée d’évaluer le coût de l’ensemble des scénarios énergétiques envisageables.

- 400 milliards d’euros pour les industriels :

« En France, la sortie du nucléaire impliquerait un investissement de 400 milliards d’euros pour remplacer le parc existant par des moyens de production alternatifs, ce qui se traduirait par un doublement de la facture d’électricité. » Le devis émane d’Henri Proglio, dans le Parisien de ce mercredi 9 novembre.

A EDF, on assure que ce chiffre a été calculé « par des économistes d’EDF ». Il correspond au montant des investissements à réaliser pour remplacer les centrales par des installations de production d’électricité d’une capacité équivalente (par des centrales au gaz et des énergies renouvelables). Il ne compte donc pas le démantèlement des centrales, et ne comporte pas de date de fin. Le bilan d’Henri Proglio ressemble de très près aux résultats obtenus par l’Union française de l’électricité, qui regroupe les industriels du secteur. Selon leur rapport, si la part de l’atome était réduite à 70% d’ici 2030, le coût pour la France serait de 382 milliards d’euros, et le particulier verrait sa facture augmenter de 33% en vingt ans. Un ménage paierait ainsi son électricité 148 euros le mégawattheure (MWh) toutes taxes comprises, contre 126 euros en 2010.

Bilan : Ces deux scénarios ont pour présupposé que les efforts de limitation de la consommation d’énergie initiés par le Grenelle ne seront tenus qu’à moitié. Ils ont également pour défaut de ne pas être comparés aux coûts que nécessite le maintien du nucléaire. Alors que de nombreux réacteurs anciens devront être rénovés ou remplacer, et que « les seules mesures de sûreté post Fukushima vont coûter 1 milliards d’euros par réacteurs en France, soit 58 milliards d’euros », dénonce par exemple Marc Jedliczka, porte-parole de l’association négaWatt.

- 0 euro si l’on réduit la consommation, selon les associations

Les associations ne partagent pas du tout le même constat. Pour l’association négaWatt, auteur de rapports sur la faisabilité d’une transition énergétique, ce qui est calculé comme un coût par les industriels et l’Etat n’en est tout simplement pas un. « Il ne s’agit pas d’un coût mais d’un investissement. Dépenser dans le cadre d’un vaste plan industriel pour l’efficacité dans le bâtiment ou dans les énergies renouvelables permet de créer des centaines de milliers d’emplois (voir l’encadré ci-dessous), de lancer partout en France des petites entreprises spécialisées. Il faut aller plus loin que cette bataille de chiffres, dont les modes de calculs ne sont pas vraiment transparents, et plutôt s’interroger sur la manière d’évaluer l’utilité pour notre société », torpille Marc Jedliczka. Le scénario de négaWatt mise principalement sur les économies d’énergies et la sobriété pour compenser la sortie du nucléaire.

Bilan : Bien que très complet, le scénario négaWatt paru le mois dernier a le défaut de ne pas être chiffré. L’association promet de rendre ses travaux sur le sujet dans les semaines qui viennent. En attendant, elle indique simplement que les travaux d’isolation dans le bâtiment résidentiel pourraient à eux-seuls nécessiter l’investissement de 10 milliards d’euros par an pour rénover un million de logement chaque année. Elle reconnaît également que l’énergie coûtera plus cher dans tous les scénarios, y compris dans celui qu’elle défend. « L’énergie doit être payée à son juste prix, ce qui veut dire que le kilowattheure coûtera nécessairement plus cher à l’avenir. Mais nous prévoyons des amortisseurs sociaux, comme un chèque vert énergie pour les moins aisés », note le porte-parole.

Avec les mêmes présupposés d’un tournant de la sobriété en France, l’association Global Chance calculait en juin dernier qu’une sortie du nucléaire entraînerait un coup du kilowattheure « 10% à 15% supérieurs à ceux de la poursuite du nucléaire », mais que « les factures annuelles pour les usagers sont nettement plus légères (de 25%) » grâce à la réduction de la consommation.


Quel serait l’impact d’un arrêt de l’atome sur l’emploi ?

Pour Henri Proglio, « un million d’emplois seraient mis en péril » en cas de sortie du nucléaire. Le patron d’EDF additionne ici les « 400 000 emplois directs et indirects de la filière nucléaire », et « 500 000 emplois dans les entreprises actuellement localisées en France et très gourmandes en énergie, comme l’aluminium, qui risqueraient de partir à l’étranger » (avec le présupposé qu’une sortie du nucléaire entraîne une augmentation du prix du kilowattheure), mais aussi « 100 000 emplois futurs provenant du développement du nucléaire mondial à partir de la France ».

Réponse de Marc Jedliczka : « Ce calcul est complètement mensonger. D’une part il est largement excessif : les centrales nucléaires ne s’arrêteront pas du jour au lendemain et le démantélement des centrales demandera de toute façon des milliers d’emplois qualifiés pendant des dizaines d’années : les salariés du nucléaire n’ont rien à craindre pour leur emploi ! Par ailleurs, il ne prend pas du tout en compte les emplois nouveaux qui seraient créé par la transition énergétique : nous avions estimé en 2006 leur nombre à plus de 600 000, nous sommes en train de revoir nos chiffres, nous les publierons quand ils seront validés. »