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L’Europe de plus en plus radioactive
jeudi, 2 octobre 2008 / Laure Noualhat /

Journaliste errant dans les sujets environnementaux depuis treize ans. A Libération, mais de plus en plus ailleurs, s’essayant à d’autres modes d’écriture (Arte, France Inter, Terra of course, ...). Il y a deux ans, elle a donné naissance (avec Eric Blanchet) à Bridget Kyoto, un double déjanté qui offre chaque semaine une Minute nécessaire sur Internet.

, / Adrien Albert

Tchernobyl n’est plus qu’un lointain souvenir en Europe. Changement climatique et pétrole cher poussant plusieurs pays à investir dans de nouvelles centrales. L’Europe a mis en place un forum pour les pousser à y réfléchir. En toute discrétion.

En mars 2007, jetant les bases de sa politique énergétique pour les trente prochaines années, la Commission européenne a élaboré une feuille de route vantant les technologies « bas carbone ». Pêle-mêle, on y trouve le nucléaire, les énergies renouvelables, mais aussi le gaz et le charbon. Et à chaque secteur, son petit cercle de réflexion. Amsterdam a hérité du forum consacré au gaz, Berlin a reçu celui du charbon, Florence, les nouveaux réseaux électriques. La République tchèque et la Slovaquie se sont quant à elles partagé l’atome.

Il y a un an, un discret Forum européen sur l’énergie nucléaire (Fene) a accueilli à Bratislava tout ce que l’Europe compte d’industriels puissants et de politiciens décisionnaires pour donner un discret coup de pouce au nucléaire. « Ce forum informel réunit tous les acteurs universitaires, industriels, scientifiques et même écologiques qui défendent cette technologie », détaille Henri Paillère, correspondant de la Commission européenne au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Oui, le Fene est un lobby et il n’y a que les technocrates bruxellois pour le nier. « Nous voulons présenter les éléments du débat au-delà des positions historiques de chacun. En un mot, dé-passion- ner », argumente Dominique Ristori, directeur adjoint de la direction générale énergie et transports (DG-Tren) au sein de la Commission.

Grâce à l’actualité énergétique – problèmes d’approvisionnement dus aux conflits ou aux cyclones, prix des énergies fossiles –, faire passer l’idée du nucléaire est devenu un jeu d’enfant. La lutte contre le changement climatique porte aujourd’hui l’estocade aux antinucléaires et tant pis pour les interrogations – légitimes – sur la sûreté et les déchets. Trucs et astuces de financement Entre deux portes, à Bruxelles, Bratislava ou Prague, des industriels de haut vol croisent des énergéticiens, des constructeurs, des députés européens et des ministres. Les opposants sont, eux, réduits à la portion congrue. On discute. Beaucoup. Le Fene s’est lancé un défi : harmoniser les standards de sûreté à travers l’Europe, ce qui doit se traduire par la création d’autorités de sûreté inspirées du modèle français, notamment dans les Etats de l’ancien bloc soviétique.

C’est également au sein du Fene que l’on envisage la création d’un laboratoire de recherche et d’un centre de stockage communs pour les colis hautement radioactifs. Après les machines, les hommes. La formation de la future main-d’oeuvre nucléaire s’imagine dès aujourd’hui via un réseau d’universités de renom et de grandes écoles (Berlin, Munich, Manchester, l’X…). « Nous voulons inciter les grandes universités à accueillir plus d’étudiants dans ce domaine », poursuit Dominique Ristori, de la DG-Tren.

Mais le Fene sert aussi de chambre d’enregistrement pour les doléances des opérateurs, les futurs appels d’offres des chantiers, et c’est là que se concoctent de commodes législations. « J’entends des échanges de trucs et astuces pour financer de nouveaux réacteurs, surtout en Europe de l’Est, confie en douce un participant en mal d’os à ronger. Alors que nous souhaiterions entendre parler davantage de recherche et développement, de soutien au parc nucléaire actuel, d’extension de la durée de vie des centrales ou de la génération IV de réacteurs à neutrons rapides.  »

Entre les deux sessions plénières, les groupes de travail se réunissent à Bruxelles sous la houlette de la Commission, laquelle ne débourse pas un centime dans l’affaire. « Nous ne disposons pas de budget mais d’une fantastique expertise », se réjouit Dominique Ristori. Comprendre : quand on n’a pas d’argent, on a des réseaux et beaucoup de matière grise. Ce qui explique peut-être pourquoi les participants issus de l’industrie du secteur y sont largement majoritaires. Eon, Areva, EDF, Hyberdrola et d’autres n’ont en effet aucun mal à y dépêcher des représentants.

Un subterfuge de la Commission

Forum ou pas, l’acceptation du nucléaire par les populations reste l’épine dans le pied de ce colosse. Depuis plusieurs années, l’institut Eurobaromètre fait état d’un scepticisme majoritaire – quoiqu’en baisse – à son égard. En mars 2008, 44 % de la population européenne se déclarait favorable à l’énergie nucléaire, contre 37 % en 2005. « Personne n’a ni l’envie, ni le courage politique de débattre du nucléaire en Europe. Avec le Fene, la Commission a trouvé un subterfuge. Seulement, il ne s’agit pas d’un lieu de débat mais d’un “ talking club ”, une chambre de blabla, conclut Jan Haverkamp, de Greenpeace, seule ONG représentée avec Friends of the Earth. Tout le monde nous écoute religieusement car la Commission n’a qu’une crainte, que nous sortions avec perte et fracas. Mais dans le fond, nos prises de parole sont inutiles. »

L’opposition aux réacteurs faiblit En Europe, les deux seuls chantiers nucléaires se visitent à Olkiluoto (Finlande) et à Flamanville (France), où Areva fabrique deux prototypes EPR très attendus par les électriciens TVO et EDF. Un autre accord vient d’être conclu entre les Pays baltes et la Pologne. Pour le reste de l’Europe, les gouvernements se limitent à des déclarations d’intention.

D’autres enfin restent de marbre, comme l’Autriche, la Suède ou la Belgique. Les Pays-Bas et l’Espagne possèdent des lois interdisant la construction de nouvelles centrales. Mais l’oppositon faiblit. Selon un sondage organisé, fin juillet, par le quotidien El Mundo, le moratoire imposé en 1983 par Felipe Gonzalez n’est plus défendu que par 48,3 % des personnes interrogées.


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