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Rencontre avec l’homo consumerus
jeudi, 29 mai 2008
/ Karen Bastien
,
/ Steven Burke
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Les publicitaires rêvent d’un individu à hauts revenus, en quête effrénée de nouveautés, imité par d’autres consommateurs. Ils l’ont trouvé dans la communauté gay. Enfin, dans son stéréotype.
« Papa, maman, il faut que je vous dise quelque chose », lâche le fils. Silence gêné autour de la table. « Mais qu’est-ce qu’on a fait de mal ? », implore le père. « J’aime la viande ! », lâche le beau gosse. Ce « coming out » fait-il de Charal une viande gay ? A l’image des cartes bancaires dédiées – la « Rainbow Card » de Visa –, des croisières 100 % homo ou des alcools – la gamme « Rainbow Spirit » de Marie Brizard – qui enivrent spécialement leur soirée, l’estampille gay remplit les poches des marques. On est certes encore loin du yaourt, du camembert, de la pizza ou du steack gay. Mais les marketeurs y songent certainement. Car à leurs yeux l’homosexuel(le) prend les formes généreuses d’un gros portefeuille : un statut de cadre ou une profession libérale, une vie de couple avec deux revenus, sans enfants. On parle de DINK dans les pays anglo-saxons pour « double income, no kids ».
Comme ils ne s’inscrivent pas dans une logique de transmission de patrimoine ou d’épargne pour leur famille, on les classe en purs consommateurs. Aux Etats-Unis, la communauté gay – dont le pouvoir d’achat est estimé à plus de 640 milliards de dollars [1] – représente le marché communautaire non ethnique le plus lourd du pays (lire ci-contre). Les Anglo-Saxons qui ont le sens de la formule résument l’affaire en « dream market » – « marché de rêve » – pour les Américains et en « pink pound » – la « livre sterling rose » – pour les Anglais.
Mais les gays ne sont pas uniquement des parts de marché. Ce sont aussi de précieux détecteurs de tendances. Dans les études marketing, on les qualifie d’« early adopters ». Sensibles aux innovations, au design, aux technologies, à la mode, les marketeurs les considèrent comme d’excellents échantillonstests pour le lancement de produits. La marque Martial Viahero, qui a vu son sac bandoulière, le « record bag », adopté par la communauté homosexuelle, a rapidement gagné une image tendance. Bilan : plus de 300 000 exemplaires vendus.
« Nous sommes passés d’un marketing de la transgression à un marketing de l’opportunité », constate Gauthier Boche, auteur de l’article « Publicité » dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes. Les risques étaient tout autres, en 1994, quand Ikea a mis en scène un couple gay s’achetant des meubles de salle à manger. Aujourd’hui, l’affiche pour les matelas Matelsom mettant en scène deux hommes, en pyjama, dormant l’un contre l’autre, a suscité 400 e-mails d’indignation, essentiellement de blogs d’ultras catholiques. Pas de quoi faire flancher Emery Jacquillat, le patron de Matelsom, qui l’assure : « C’est une image de notre temps. Les homosexuels font partie de notre société. » [4]
Un fantasme publicitaire ? Mais combien sont-ils ces homosexuels qui font tant rêver le monde de la publicité ? Entre 1,5 et 3,5 millions en France, 3,6 millions en Grande-Bretagne... Des chiffres sujets à caution puisque la plupart des statistiques européennes s’interdisent de poser des questions sur l’origine ethnique ou les orientations sexuelles. Et le recensement américain n’a entrepris qu’il y a peu d’inclure les données relatives aux couples homosexuels. Finalement, les données concernant ce marché proviennent surtout du lectorat des magazines ou des sites gays qui mènent les enquêtes. Or ces échantillons auto-constitués ne prennent pas en compte l’hétérogénéité de cette communauté, mais viennent au contraire renforcer le stéréotype du gay fêtard, urbain, branché.
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