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Boites à fantasmes
mercredi, 30 avril 2008 / Arnaud Gonzague

Après avoir refermé L’Alterentreprise de Yannick Roudaut, on se surprend à penser à Robida. Albert Robida était ce dessinateur génial de la fin du XIXe siècle, qui se piquait de représenter l’an 2000. Dans ses gravures, les vélos volent, mais ce sont des vélocipèdes de la Belle Epoque ; les villes ont un design futuriste, mais les femmes sont chapeaux bouffants. Relire Robida, c’est constater l’impossibilité de se détacher de son temps malgré l’imagination.

On conseille vivement aux historiens de l’an 2100 de se pencher sur L’Alterentreprise. Ils y trouveront un spécimen typique de ces dizaines d’ouvrages consacrés à la responsabilité socioenvironnementale (RSE), cette éthique que la société a commencé à réclamer aux entreprises à l’aube du XXIe siècle. Ce livre est construit comme tous ses comparses : d’abord, le constat que l’« ultracapitalisme » actuel, avec ses excès de spéculation, son court-termisme et ses scandales, fonce à sa perte ; ensuite, l’annonce qu’un contrefeu se met en place chez les actionnaires, les investisseurs, les ONG, les consommateurs et même les salariés.

Et que l’avènement d’un capitalisme responsable, respectueux des hommes et de l’environnement, est « inexorable ». « Le temps où le dividende ne suffira plus n’a jamais été aussi proche… », prédit l’auteur. On aimerait le croire. Mais il est très possible qu’il s’agisse d’un vélocipède volant de Robida. Car, depuis dix ans que la RSE fait les beaux jours des colloques, des revues et des études, le moins qu’on puisse dire est qu’elle reste à l’état de belle idée. Combien pèsent les « fonds éthiques » et l’« épargne solidaire » ? Rien, ou presque. Quelles sont les victoires de l’« actionnariat socialement engagé » ? Quasi inexistantes. Quid de l’« écoconception » des objets qui mêle performance, prix et écologie ?

Il reste encore confiné à une poignée de firmes. Tout est question de génération, martèle Yannick Roudaut en leitmotiv. Les vieux pédégés, les vieux actionnaires, les vieux cadres ne comprennent rien à la RSE, mais l’arrivée des nouvelles générations va casser la baraque. Les historiens constateront cette autre réalité : toutes les splendeurs du monde à venir sont donc sur les épaules d’une génération précarisée, stagifiée et sous-payée. N’est-ce pas une manière de délester, au passage, leurs aînés de leurs responsabilités ? —

Yannick Roudaut – L’ALTER-ENTREPRISE, QUAND LES ACTIONNAIRES ET LES SALARIES RECLAMENT UN NOUVEAU MODELE. Dunod, 224 pp., 22 euros.


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