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Ecolos, entrepreneurs, visionnaires : ils changent le monde
jeudi, 3 janvier 2008
/ Karine Le Loët / Rédactrice en chef à « Terra eco ». |
Ils pullulent dans les écoles de commerce, mais pas seulement. Ils ont dix mille idées à la seconde. Ils veulent sauver la planète et la rendre plus juste. Ils, ce sont les « entrepreneurs sociaux », une nouvelle génération ravie de faire le grand écart entre le monde des affaires et l’intérêt collectif.
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Ils parlent mandarin, brésilien ou français. Ils ont fait leurs classes dans les rues de leur quartier ou sur les bancs d’une école de commerce renommée. Ils sont à la tête d’une association, d’une mutuelle, d’une coopérative… Ils agissent sur le terrain de l’exclusion, de la santé, de la culture ou encore de l’écologie. Les entrepreneurs sociaux poussent aujourd’hui tout autour du globe. Leurs profils sont multiples mais présentent quelques traits communs. Courageux acrobate, l’entrepreneur social fait le grand écart entre les mondes, jusqu’ici antinomiques, des affaires et de l’intérêt collectif. Car il n’aime pas les caricatures. Aussi refuse-t-il obstinément de porter l’étiquette du doux rêveur ou, inversement, celle du requin de la finance. Sa force à lui : combiner les qualités des deux camps. S’il s’enorgueillit de maîtriser les lois du marché et de la concurrence, il sait aussi discerner les contours d’une situation d’exclusion.
Une alchimie gagnante pour Jean-Claude Rodríguez-Ferrera. Tout a commencé par un constat : la communauté immigrée peine à accéder aux services financiers. Sa réponse ? De petits cercles autogérés d’une trentaine de membres, où ces exclus de la finance rassemblent leurs économies et organisent des prêts. S’il a lancé son projet en Catalogne, Jean-Claude Rodríguez-Ferrera rêve aujourd’hui de partir à l’assaut de l’Espagne et pourquoi pas de l’Europe tout entière. L’homme est un « visionnaire pragmatique », souligne la fondation Schwab, une organisation consacrée à la promotion de ces nouveaux acteurs de l’économie.
Ces drôles d’idées ne poussent pas sans raison dans une caboche. Dans 50 % des cas, estime Olivier Kayser, l’entrepreneur social aura été « victime » directe ou indirecte du problème qu’il s’échine à résoudre. C’est le cas de Ryadh Sallem, fortement handicapé à la naissance et triple champion d’Europe de basket handisport. L’homme est aujourd’hui à la tête de Cap SAAA, une organisation française qui rassemble enfants handicapés et valides autour d’un ballon et fait de la sensibilisation dans les écoles. Pour d’autres, c’est le spectacle d’une absurdité qui est à la source de la conversion. Révoltée par ces enfants équatoriens livrés à eux-mêmes dans les rues des villes, Sylvia Reyes crée, en 1995, l’association Juconi qui offre des services individualisés de formation et d’accès aux soins à ces gamins.
La raison d’une telle contagion ? Les gouvernements, qui jusqu’ici gardaient jalousement le monopole des solutions sur le terrain social, semblent comprendre peu à peu le potentiel de ces nouveaux participants. Car les terrains de jeux ne manquent pas. Notamment du côté de l’exclusion et du handicap. Et ils sont de plus en plus nombreux à s’y risquer, offrant ici une réponse à la discrimination à travers une agence de recrutement spécialisée dans les candidats issus des banlieues. Proposant là une récompense aux entreprises et autorités locales les plus impliquées dans l’insertion des handicapés. Mais si l’espèce des entrepreneurs sociaux est aussi prolifique, c’est qu’elle bouleverse le cadre figé de l’entreprise traditionnelle. A l’aube de son projet, le créateur prend en effet un engagement : il offrira à sa société les bienfaits d’une gouvernance participative. Dans ses organigrammes, les parties prenantes seront impliquées. Les décisions non fondées sur la propriété du capital, et l’écart de rémunération entre dirigeants et salariés réduit au maximum.
Et ce nouvel appétit, les écoles de commerce et les universités l’ont bien compris. Elles proposent aujourd’hui des filières, adaptées à la tendance. A l’Essec, on peut depuis 2003 suivre une formation en « entreprenariat social », tandis qu’à HEC existe une majeure « management alternatif », ouverte aussi aux élèves de l’ESCP-EAP. Selon une étude d’Ashoka, plus de 80 grandes écoles et universités proposeraient aujourd’hui un enseignement similaire à travers le monde, dont la prestigieuse Insead (Institution européenne d’administration des affaires), l’IESE de Barcelone ou encore la School for Social Entrepreneurs (SSE) érigée à Londres, en 1997, et qui, en dix ans, a formé 300 étudiants.
En acceptant de ses acheteurs un remboursement graduel hebdomadaire, l’entreprise s’est assuré la fidélité d’une immense clientèle. Certes, pour aligner les plateaux de sa balance, notre entrepreneur social doit se montrer parfois plus ingénieux que ses confrères. « Monter un programme d’éducation primaire en Afrique ou assurer un service sanitaire possède a priori peu de chances d’être rentable, précise Mirjam Schöning, directrice de la Fondation Schwab. Et pourtant, les solutions existent. Au Paraguay et au Brésil, un programme fait cohabiter agriculture et éducation des enfants. Les élèves suivent un enseignement classique et apprennent à cultiver les champs. Du coup, le programme devient rentable parce qu’ils forment les futurs acteurs de l’économie. » Certains projets, rentables en diable, font même des petits. C’est le cas de l’idée de Mohammad Yunus, créateur du microcrédit. Inventé au Bangladesh en 1978, son système déploie ses règles inédites dans 45 pays et touche 60 millions des personnes, dont 27 millions parmi les plus pauvres. L’homme a décroché le Nobel de la paix, rien de moins.
D’autres marchent dans ses pas. C’est le cas des cinq projets sur lesquels Terra Economica a décidé de porter la lumière aujourd’hui. Du Brésil à la France, de la Chine à l’Inde en passant par la Norvège, ceux-là s’attèlent à apprendre aux enfants à épargner, à pousser les plus démunis à réduire leur facture d’électricité en recyclant leurs canettes, à mettre en réseau des associations, à sensibiliser à l’environnement ou à mettre de côté les bénéfices pétroliers pour assurer des jours meilleurs à un pays. Lancés depuis dix ou vingt ans, ils participent au « changement systémique », celui qui bouleverse la vie de millions d’habitants, faisant fi des frontières et des cultures. Et jurent même de grossir, oh pardon, de grandir encore davantage. —
L’entrepreneuriat social
Multiples et variées, les entreprises sociales sont difficiles à recenser. En Grande-Bretagne, un rapport gouvernemental de 2005 évaluait leur nombre à 15 000 (1,2 % du nombre total d’entreprises) et leur masse salariale à 775 000 personnes (dont 300 000 bénévoles). Selon la même source, ces entreprises sociales génèreraient 0,8 % du chiffre d’affaires total des entreprises britanniques. En France, il n’existe que quelques données sur le secteur de l’économie sociale. Selon le Cerphi (Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie), 210 000 employeurs contribuaient au secteur de l’économie sociale en 2006 et employaient 2 622 431 personnes.
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Consultation auprès d’un malade du sida au Malawi (Crédit : Samuel Bollendorf / Oeil Public) GIF - 46.7 ko 330 x 217 pixels |
Ramassage de canettes à Bahia (Crédit : JC Gérez) GIF - 56.4 ko 340 x 229 pixels |