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Vox patroni
mardi, 27 novembre 2007 / Arnaud Gonzague

Il y a trente ans, personne n’écoutait le patronat français. Ou plutôt, personne ne l’entendait : le discours managérial, les impératifs de « modernisation sociale » chers au Medef, n’avaient pas droit de cité à la télévision. Belle idée, donc, que celle de deux jeunes documentaristes sans le sou d’aller, en 1978, poser leur micro sous le nez d’une douzaine de patrons. Et d’écouter. Gérard Mordillat et Nicolas Philibert (célèbre depuis pour son Etre et Avoir) ne choisirent pas n’importe lesquels : ils interviewèrent les pédégés de Paribas, L’Oréal, Boussac, Thomson, IBM… Et ils en firent un documentaire narquois au titre excessivement militant La Voix de son maître. 1978, il faut le dire, c’est une autre planète.

Les Trente Glorieuses sont terminées, mais personne ne le sait. La France est alors plus industrielle que tertiaire, le textile et les mines tournent à plein régime et le chômage de masse est inconcevable. Les délocalisations, la précarisation, la désyndicalisation sont des mots absents du dictionnaire. Un pédégé explique à propos des multinationales que leur « puissance réelle est toujours, et sera toujours, limitée par la souveraineté des Etats […] aussi petits soient-ils ». Un autre regrette que les syndicats veuillent « renverser le système », et tous dissertent longuement sur une notion aujourd’hui reléguée aux oubliettes : l’autogestion. On se pince même en entendant Bernard Darty, grave dirigeant à moustaches, décrire l’arrivée d’un syndicat comme un « traumatisme tel qu’il modifie les schémas du chef d’entreprise. Psychologiquement, il ne peut le supporter […] Lui croyait sincèrement que tout le monde [était heureux] » dans son entreprise !

Ce genre de phrases réapparaissent de temps à autre (il faut « mettre notre langage à la portée de nos interlocuteurs [ouvriers], ce qui n’est pas facile du tout », dit l’un) en cette époque où le langage n’est pas encore javellisé par la communication. Mais interrogeons-nous : et si aujourd’hui on tendait le micro aux douze plus gros pédégés français, qu’entendrait-on ? Pas de la condescendance, non. Probablement peu d’hypocrisie aussi. Mais sûrement le mot « profit », qui est étrangement absent dans La Voix de son maître.

Gérard Mordillat et Nicolas Philibert – LA VOIX DE SON MAÎTRE. Blaq Out, 1h35, 20 euros.

Le site d’Arnaud Gonzague


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