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La mer attend encore sa vague
mercredi, 31 octobre 2007 / Cécile Cazenave , / Philippe Lopparelli (Tendance Floue)

L’énergie de la mer est inépuisable, propre… et totalement sous-exploitée dans le monde. Quelques inventeurs se lancent avec le soutien de leurs gouvernements. La France, elle, boit la tasse.

Le monstre du Loch Ness fera son apparition dans quelques jours… Au large du Portugal. L’inauguration du Pelamis est imminente. Ce serpent d’acier, destiné à capter l’énergie des vagues pour la convertir en électricité, est une invention de l’entreprise écossaise Pelamis Wave Power. Enersis, spécialiste portugais de l’énergie, l’a acheté pour 8 millions d’euros et s’apprête à le jeter à l’eau au large de Povoa de Vadim, près de Porto. Sur le papier, le fonctionnement de la bestiole, semi-submergée, a l’air simple. Quatre cylindres, à l’allure de quatre rames de TGV, d’une longueur totale de 120 mètres, sont articulés entre eux. Les mouvements des vagues font jouer des pistons qui mettent de l’huile sous pression. Ainsi actionné, un moteur hydraulique alimente une turbine. Celle-ci produit de l’électricité, qui sera évacuée par un câble sous-marin jusqu’à la côte. L’animal a une puissance de 750 kW.

A terme, deux congénères devraient le rejoindre pour former une installation de 2,25 MW. De quoi alimenter 2 000 foyers de la côte lusitanienne. Ce sera la première ferme à vagues commerciale du monde. Une décennie après la fondation de la société, Pelamis Wave Power fait vivre soixante-quinze ingénieurs et techniciens de pointe. Il leur aura fallu dix ans de tâtonnements et de persévérance pour mettre en route cet engin capable de capter la formidable énergie des océans pour éclairer les maisons.

Car ce gisement-là est un puits sans fond ! Une énergie propre, disponible tant qu’il y aura des vagues, de la houle et des marées : un filon d’or bleu qui attend d’être exploité avec les bons outils. Mais ceux-ci ne sont, pour l’instant, pas tous au point. Car si les inventeurs rivalisent d’idées et font surgir un nombre impressionnant de machines de toutes formes sur le papier, la plupart n’atteignent même pas l’étape du prototype. « Le challenge est difficile, explique Alain Clément, ingénieur au laboratoire de mécanique des fluides de l’Ecole centrale de Nantes. Les technologies en jeu sont comparables à celles déployées dans la navale ou l’offshore : elles doivent survivre aux mêmes tempêtes, à des condition extrêmes, pour aller chercher quelque chose qui ne rapporte rien en comparaison d’un baril de pétrole ! » L’or bleu est cher et, pour les industriels, investir est un pari sur l’avenir. Seule solution pour faire émerger les idées des labos : une volonté politique, traduite en espèces sonnantes et trébuchantes.

Bouée hollandaise et pistons américains

Pas vraiment la mer à boire pour nos amis d’outre- Manche. Au Royaume-Uni, produire de l’électricité grâce à l’océan est même devenu une affaire d’Etat. Plusieurs dizaines de millions d’euros ont été investis dans la recherche. Il faut dire que le pays concentre, en Europe, une grande part de la ressource grâce à ses côtes. La production de pétrole en mer du Nord, en chute libre depuis plusieurs années, n’est sans doute pas non plus étrangère à l’intérêt que portent nos voisins à cette technologie du futur. Le groupe d’étude du Forum pour le développement des énergies renouvelables du gouvernement écossais compte bien créer 7 000 emplois d’ici à 2020 grâce aux énergies de la mer.

Selon leurs calculs, cette source assurerait alors 10 % de la consommation électrique de la région et la production permettrait d’exporter 100 MW par an. En février, le vice-Premier ministre écossais annonçait d’ailleurs solennellement la liste des entreprises sélectionnées pour se partager 13 millions de livres (plus de 18 millions d’euros) d’investissements. Parmi les prototypes choisis pour être testés et améliorés dans les eaux écossaises, on trouve des entreprises de plusieurs nationalités : le serpent écossais Pelamis, l’Archimedes Wave Swing, une bouée hollandaise fixée au fond de l’eau, le système à pistons américain PowerBuoy et la chambre étanche du britannique Wavegen.

« But where are the French ? Still in their lab » (« Où sont les Français, toujours dans leurs laboratoires  ? »), aurait, à cette occasion, perfidement glissé un observateur. Car pour l’heure, les Français font figure de marins d’eau douce. Et pourtant, « sur la totalité des côtes françaises, entre Dunkerque et Bayonne, le flux d’énergie des vagues atteint 420 TWh par an [1]. C’est un chiffre proche de la consommation électrique française actuelle, souligne Alain Clément. On ne peut, évidemment, en prélever qu’une minuscule fraction, mais ces ordres de grandeur prouvent que cette énergie n’est pas mineure. » Ce pionnier de la recherche en énergies marines travaille, depuis six ans, à la mise au point du Searev, un convertisseur de vagues (lire page suivante). Mais, sans politique financière de soutien, comme au Portugal ou au Royaume-Uni, aucune chance de décoller. « Toutes les simulations technico-économiques à l’échelle européenne montrent que, pour intéresser les industriels, le tarif de rachat doit se situer entre 20 et 25 centimes d’euros le kWh », explique-t-il.

En mars, le décret obligeant les électriciens français à racheter le kWh d’énergie marine est tombé : 15 centimes d’euro… Un couperet pour les chercheurs qui espéraient passer à la vitesse supérieure. On est, étrangement, loin des subventions accordées à l’énergie photovoltaïque, dont le tarif obligatoire de rachat peut atteindre 55 centimes d’euro le kWh. Côté électricien, EDF garde bien un oeil sur les chercheurs hexagonaux en soutenant le projet d’hydrolienne du LEGI, un laboratoire grenoblois (lire ci-contre). Mais le groupe a surtout misé sur les chevaux partis avec une longueur d’avance. Sa filiale EDF Energy, actionnaire majoritaire de Marine Current Turbines, une compagnie britannique spécialiste des courants, a investi plusieurs millions d’euros dans un nouveau projet au large de l’Irlande du Nord. De quoi mettre du vague à l’âme des Frenchies.

L’espoir des îles isolées

« On a tous les ingrédients en mains pour faire en sorte que ça se mette en marche. Manquent des signaux institutionnels  », tente malgré tout de convaincre Cyrille Abonnel, responsable du pôle énergies marines à EDF Recherche et Développement. Pourtant, rien ne bouge à l’horizon. Le rapport sur les perspectives énergétiques françaises, remis au Premier ministre le 25 septembre par une commission « énergie », ne consacre pas la moindre ligne à celles de la mer. Son président, Jean Syrota, ancien patron de la Cogema, évoque bien le rôle moteur que doit jouer la France pour pousser l’Union européenne à diviser par 4 ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, mais n’a pas jugé bon d’évoquer l’existence d’un potentiel d’énergie marine en France.

A contre-courant de l’esprit continental, les territoires d’outre-mer pourraient lancer le mouvement. Alain Clément en est convaincu. « Ces énergies vont démarrer dans des niches, des îles isolées au milieu de l’océan où la ressource en vagues est formidable et l’électricité chère et très polluante. » L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a d’ailleurs financé une étude de faisabilité à Tahiti. Une colonne d’eau oscillante de 500 kW, de conception britannique, exploitée par un électricien local devrait être mise en route en 2009. Sur ces atolls, le kWh est déjà trois fois plus cher que sur le continent. Et la politique énergétique n’est pas de la compétence de l’Etat français. Pas encore une lame de fond mais un espoir au milieu des océans ? —


Les chercheurs français rament

Plusieurs équipes travaillent sur les deux grandes familles de machines qui permettent d’exploiter les énergies de la mer. Mais aucune n’est encore passée à la phase préindustrielle. Energie des vagues. L’équipe nantaise d’Alain Clément reste, malgré tout, optimiste. Son projet, nommé Searev, a été lancé en 2002. En forme de grosse enclume, il repose sur le principe du pendule. Son atout : disposer de l’un des plus grands bassins à houle d’Europe, dans lequel ont pu être validées les prédictions théoriques. Dans quelques semaines, le chercheur espère signer un accord final avec des partenaires pour passer à la construction d’un prototype. Coût : entre 10 et 20 millions d’euros et deux à trois ans de travaux.

Energies des courants de marées. L’équipe grenobloise de Jean-Luc Achard planche sur le projet d’hydroliennes Harvest. Il s’agit d’un empilement de turbines dont l’axe de rotation est perpendiculaire au flux. EDF a donné la jouissance d’un canal pour pouvoir tester une machine à l’échelle 1/2 l’année prochaine, et Areva s’est montré intéressé pour sa construction. De son côté, la société HydroHélix, co-fondée par Hervé Majastre et Jean-François Daviau, a récolté les fonds pour travailler sur un prototype : une série de turbines à axe horizontal devrait être immergée dans l’estuaire de l’Odet (Finistère) fin 2008.

- Pelamis Wave Power

- Les perspectives énergétiques de la France :


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