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Publicité contre toute attente
mercredi, 31 octobre 2007 / Virginie Leray , / Olivier Philipponneau

Guetter le bus, patienter avant la séance de cinéma, remplir le réservoir de l’automobile... Autant de moments d’oisiveté forcée, dans lesquels les annonceurs cherchent à se glisser.

Pas moyen de s’ennuyer en paix ! Bloqué dans les embouteillages ? Les slogans bariolés sur l’une des 900 Smart roulant pour Carlogo viennent distraire le passant. Aux caisses des supermarchés, des écrans promotionnels de Mediavista aident les consommateurs à élaborer leur prochaine liste de courses. Dans les transports, la presse gratuite informe au milieu des pages de publicité... Mais tout ce temps perdu ne l’est pas pour tout le monde. Les communicants traquent sans relâche les moindres instants « de cerveau disponible », une denrée précieuse, sur un marché menacé de saturation.

Conséquence : de plus en plus de réclames viennent meubler les moments d’oisiveté forcée. Cette stratégie commerciale, vieille comme les Abribus lancés en 1964 à Lyon par Jean-Claude Decaux, porte désormais un nom : le wait marketing, littéralement le marketing de l’attente. Diana Derval [1], la marraine du concept, y décèle le symptôme d’une nouvelle relation entre annonceurs et consomm’acteurs : « La communication en situa- tion d’attente est à la fois plus efficace et moins intrusive que la publicité classique.

A l’opposé de “l’ambiant marketing” qui se veut présent partout où l’œil se pose, elle peut s’adresser à un public a priori intéressé. » On le voit aujourd’hui avec les bornes « hypertags » présentes sur certaines publicités. Elles permettent de télécharger sur un portable un complément d’information – texte ou image – sur le produit proposé : une sorte de « publicité à la demande ».

Téléspectateurs de salles d’attente

Le secret réside donc dans un ciblage sociologique au plus fin du consommateur et de ses attentes. société Canal 33 a ainsi bâti son succès sur un wait marketing de niche. Depuis 1986, elle propose aux cabinets médicaux collectifs un programme télévisé de 80 minutes – dont 12 de publicité– à diffuser en boucle dans les salles d’attente. Au menu, nutrition et conseils santé mais aussi développement durable, loisirs et vie pratique. Au contraire des conducteurs Carlogo, qui sont rémunérés 70 à 300 euros par mois pour « rouler habillés », les praticiens s’acquittent d’un abonnement mensuel allant de 6 à 29 euros pour des contenus plus spécifiques, adaptés aux maternités ou aux dentistes par exemple.

Chaque mois, 3 millions de patients défilent devant ces écrans. C’est un public captif où les ménagères de moins de 50 ans sont sur-représentées. Une aubaine pour les annonceurs : « Pour un coût deux fois moindre, nous offrons un taux de mémorisation de 27 % contre 17 % sur une chaîne télé classique », détaille Olivier Nouvian, directeur de la régie. Et le principe fait des émules jusque dans le service public. En septembre, Canal Poste a entamé son déploiement avec 300 bureaux équipés, pour un objectif de 2 500 écrans fonctionnels d’ici à la fin de l’année. Le wait marketing fonctionne d’autant mieux qu’il sait choisir son moment. Champion de la contextualisation, Tom Tom, concepteur des fameux navigateurs GPS, parraine les tranches infotrafic des radios.

Mieux, pendant les dernières vacances, cette société a apposé des affichettes sur les pistolets à essence et proposé des démonstrations aux automobilistes attendant à la pompe. La publicité développée hors des médias classiques occupe désormais 65 % des budgets de communication. L’agence « Mediaedge:cia » affirme ainsi privilégier un marketing plus qualitatif que quantitatif. Au printemps, dans les salles obscures néerlandaises, elle a proposé pour Canon un spectacle acrobatique en direct avant la projection du dessin animé Shreck. « Pour le prix d’une campagne classique (34 000 euros), ces shows n’ont été vus que par 10 000 personnes au lieu de 250 000, mais les retombées en terme de relations publiques sont considérables », décrypte Joost van Eupen, directeur marketing de l’antenne d’Amsterdam.

Cadeau ou manœuvre pernicieuse ?

Jean Jourdan, directeur marketing de Métrobus, spécialiste des campagnes d’affichage dans les transports, va même plus loin. Pour lui, « l’événementiel est ressenti comme un cadeau par les usagers ». Enfin, pas tous. Véronique Gallais, présidente d’Action consommation, n’y voit qu’« une manœuvre pernicieuse cherchant à capter et surprendre l’individu dans tous les recoins de son intimité ». Autre problème, les nouvelles technologies ouvrent des potentialités illimitées : depuis l’affiche interactive, animée ou olfactive, en passant par l’envoi de SMS promotionnels ou les écrans télé incorporés dans des vêtements.

Cet arsenal fait frémir Laure Nicolas, juriste et membre de Résistance à l’agression publicitaire : « Comment contrôler tous ces supports, alors que le secteur échappe déjà largement à la régulation ? » Le nouveau règlement local de publicité de Paris du 27 septembre ne suffira pas à endiguer la déferlante. Il prévoit en effet de réduire l’affichage de 20 %, mais les panneaux déroulants augmentent, eux, la pression publicitaire de 200 % !


Des contrats en roue libre Après Lyon, Aix-en-Provence, Nantes, Strasbourg, Marseille et Paris, Rennes s’est convertie, en septembre, au système de vélo en libre-service de JC Decaux. Ce moyen de transport est financé par l’utilisation du mobilier urbain à des fins publicitaires. Ainsi, à Paris, l’opérateur dispose de 1 280 panneaux de 2 m2 et de 348 panneaux de 8 m2 d’affichage, publicitaire sur une face, municipal sur l’autre. En échange, il installe 1 451 stations, exploite leurs 20 600 Vélib et verse une redevance de 3,5 millions d’euros par an à la Ville. Malgré le succès, ces contrats d’occupation de l’espace public sont taxés d’« opaques » par un collectif d’associations [2]. Ils semblent en tout cas à géométrie variable. Si Lyon touche 18,5 millions d’euros par an pour 4 000 Vélov, Aix-en-Provence dit, elle, sortir le carnet de chèques pour ses 200 deux-roues.

Pour aller plus loin :
- Le rapport de la cour des comptes d’Ile-de-France sur les marchés publics de mobilier urbain de Paris.
- L’association Résistance à l’agression publicitaire.


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