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Les paris sont grands ouverts
jeudi, 4 octobre 2007 / Eve Charrin , / Sylvie Serprix

Le PMU et la Française des Jeux ne vont plus pouvoir jouer seuls très longtemps. Pressée par la Commission européenne, la France serait prête à « une ouverture maîtrisée » des paris sur le Web.

Envoyés de Bercy, diplomates du Quai d’Orsay et eurocrates de la Commission ne se quittent plus ces dernières semaines. Au coeur de leurs palabres : le monopole historique du PMU sur les paris hippiques et l’exclusivité de la Française des Jeux en matière de paris sportifs. Si les discussions aboutissent, les parieurs pourront alors accéder en toute légalité à l’offre en ligne d’un britannique, comme Ladbroke, d’un autrichien comme Bwin, ou encore surfer sur des sites opérant en offshore depuis Malte, comme Zeturf, propriété de l’aristocrate français Emmanuel de Rohan Chabot.

« Localisés dans des pays de l’Union européenne à plus faible taxation, comme Malte ou le Royaume-Uni, les sites de paris en ligne offrent un taux de retour au joueur nettement supérieur au nôtre, reconnaît un porte-parole de la Française des Jeux. Ces concurrents redistribuent 90 % à 95 % des mises entre les joueurs, tandis que les gains obtenus via la Française des Jeux plafonnent aux alentours de 70 %. »

Liberté contre addiction

Alors, vive la concurrence ? Pas si simple. Du Tiercé-Quinté-Plus au Loto Foot, ce sont des institutions qui apportaient chaque année un bon milliard d’euros aux finances de l’Etat, qui sont en passe de céder sous les coups de boutoir de la Commission européenne. Retour en arrière. En juin, Charlie McCreevy, le commissaire irlandais chargé du Marché intérieur, envoie à Paris un « avis motivé », dernière étape avant une procédure contentieuse devant la Cour de justice des communautés européennes. La France, qui avait déjà reçu une mise en demeure l’année précédente, est sommée d’ouvrir son marché aux sites de paris.

Fin du monopole ?

Elle n’est pas la seule : une dizaine d’autres pays européens sont dans le collimateur de McCreevy, grand joueur et fondu de courses, pour qui le jeu est un marché comme un autre. Parce qu’il comporte des risques d’addiction, parce qu’il a partie liée aux réseaux de blanchiment et au crime organisé, le jeu a été exclu de la directive Bolkestein sur les services. Mais il en faudrait davantage pour décourager McCreevy, qui choisit une autre arme pour mener l’offensive.

D’après lui, le monopole du PMU et de la Française des Jeux serait contraire à l’article 49 du Traité de Rome sur la libre circulation des services. Résultat des courses ? « Le monopole tel qu’il existe vit ses derniers jours », assure Thibault Verbiest, avocat et lobbyiste à Bruxelles pour le compte de nombreuses sociétés de paris en ligne. Pour preuve, ce monopole « a été condamné par la Commission européenne. Et aussi par la Cour de cassation française, qui en juillet 2007, a renvoyé en appel une décision de justice contre la société Zeturf ». Sur le plan juridique, « le monopole est parfaitement défendable, estime Philippe Vlaminck, avocat de la société européenne de loterie, une instance qui comprend la Française des Jeux et ses homologues des pays voisins. Dans ce secteur très spécial, le monopole est même nécessaire, parce qu’il permet une offre contrôlée, responsable. Le risque d’addiction est ainsi minimisé. »

« Le jeu responsable », c’est l’antienne du PMU et de la Française des Jeux, des sociétés par avance soucieuses de justifier leur monopole vis-à-vis de la Cour de justice des communautés européennes. Sensible à ces arguments d’ordre social, « la juridiction européenne ne condamne pas le monopole des jeux en tant que tel, souligne un juriste spécialiste du dossier. Simplement, elle pousse les Etats à se montrer cohérents ». En clair, on ne peut pas conserver les monopoles au nom de la lutte contre l’addiction… alors qu’on se livre en même temps à des campagnes pour le dernier grand tirage du Loto et qu’on diversifie toujours plus la gamme de paris offerte pour séduire le maximum de joueurs ! Du coup, dans l’Hexagone, les paris en ligne sur les sites officiels viennent d’être interdits aux mineurs, et la mise maximale est limitée à 500 euros par semaine.

Menace sur les hôpitaux ?

Sur le plan politique, les négociations se sont engagées sur d’autres bases. Après avoir très brièvement défendu le monopole, Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, a créé la surprise, fin juillet, à l’issue d’une entrevue à Bruxelles avec McCreevy en se déclarant soudain prêt à « une ouverture maîtrisée ». Pourquoi ce revirement ? Mystère. Reste un souci : le financement de la filière hippique, qui compte 62 000 emplois et de puissants intérêts, dépend pour l’essentiel du PMU. L’an dernier, France Galop, association dirigée par Edouard de Rothschild, Le Cheval Français et d’autres associations équestres ont perçu 653 millions d’euros, une somme directement issue des paris.

« Une ouverture non régulée par l’Etat serait une catastrophe », alerte Emmanuelle Bourg, directrice déléguée de France Galop. A Bruxelles, McCreevy se déclare le meilleur ami du cheval et affirme qu’il ne veut faire aucun tort à la filière en France. Second problème : le milliard d’euros que rapportent chaque année à l’Etat les paris sportifs. Cette manne sert actuellement à financer non pas les écuries d’Edouard de Rotschild, Dominique de Bellaigue et autres grands noms du cheval français, mais la construction d’hôpitaux ou l’entretien des écoles, ou encore à payer les intérêts de la dette publique. Cette manne pourrait bien tomber en partie dans les poches de concurrents privés en cas d’ouverture, même « maîtrisée ». —

- Rapport sur « l’économie de l’immatériel »

- La législation des paris sportifs :

- Le site du PMU

- Le site de la Française des Jeux

- Le site de la Cour de justice des communautés européennes


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