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L’Europe de l’Est en intérim à l’Ouest
jeudi, 6 septembre 2007
/ Karine Le Loët / Rédactrice en chef à « Terra eco ». , / Oeil Public |
Bulgares, Polonais, Slovaques… Ils sont des millions à avoir quitté leur pays depuis leur intégration à l’Union européenne en 2004. Plongée au coeur des agences de recrutement britanniques qui prospèrent sur les rêves de ces migrants.
Cheveux noirs et courts sur un regard sombre, elle avance d’un pas timide, ceintrée dans son uniforme de femme d’étage. Elle s’asseoit du bout de la jupe sur le canapé de l’hôtel Hilton où elle veille au remplissage des stocks de savons et de lingettes. Là, Nedka remonte le fil de son histoire. Celle-ci débute en Bulgarie il y a cinq ans. A 37 ans, cette inspectrice sanitaire décide de suivre les pas aventureux de son mari exilé en Angleterre depuis deux ans. Au moment du départ, une amie lui glisse le nom d’une agence d’intérim londonienne. Débarquée sur le territoire insulaire, Nedka reste cloîtrée chez elle deux ou trois mois, incapable de prononcer la moindre diphtongue anglaise. Puis elle finit par frapper à la mystérieuse porte. « Là, tout le monde parlait bulgare. Ils m’ont aidé à ouvrir mon compte en banque, à remplir la paperasse. En vingt-quatre heures, j’avais un job de femme de chambre », souritelle, encore ravie.
Comme Nedka, des milliers d’immigrés est-européens passent aujourd’hui entre les mains habiles d’agences multilingues spécialisées dans le recrutement d’une main-d’oeuvre en quête de travail et d’argent. Un maximum d’argent en deux ou trois ans Otto, Central European Staffing, Anglo-Polish Agency, Poland Direct... Depuis 2004 et l’ouverture du marché du travail britannique aux migrants de huit nouveaux pays (lire ci-contre), celles-ci se multiplient à la limite de la légalité. Car la Commission britannique pour l’égalité raciale interdit en théorie de cibler un groupe sur des critères de nationalité.
« En Pologne, les jeunes apprennent à la fois la maçonnerie, l’électricité, la charpenterie. Du coup, ces travailleurs sont très qualifiés dans des domaines multiples, décrypte Agnes Wrodarczyk, directrice de Central European Staffing (CES), une agence de recrutement implantée dans le Kent, au sud-est de l’Angleterre. Ils sont aussi très disponibles. Car la plupart sont venus seuls dans l’espoir d’accumuler le maximum d’argent pendant deux ou trois ans, avant de retourner au pays. »
Sur le marché du recrutement, le gisement esteuropéen paraît des plus juteux. En 2005, près de 200 000 nouveaux candidats débarquaient sur la place au moment où des milliers d’employeurs affichaient pénurie de personnel. Mieux, avec la perspective des Jeux olympiques de Londres de 2012, et les milliers de travaux de construction en tout genre, le filon semble durable. Aussi, les agences prennent-elles un à un les précieux candidats par la main, se chargeant de les conduire du seuil de leur logement aux portes de l’employeur.
En cas de besoin, elle fournit un moyen de transport quotidien afin que l’employé puisse se rendre au travail, un logement, la traduction des documents officiels. Assistance psychologique et orientation quotidienne sont aussi au menu. « A leur arrivée, on leur explique comment ouvrir un compte bancaire, remplir les papiers de la NHS (la sécurité sociale britannique, ndlr), on leur montre l’hôpital et le cabinet dentaire », explique Lynn Hartshorn, directrice d’Otto, une agence implantée dans les Midlands anglais. 74 euros, la couchette en caravane Et ça marche ! Dans sa base de donnés, CES assure détenir les coordonnées de près de 50 000 candidats, de quoi se ménager un petit pécule.
Le 15 août, le quotidien britannique The Guardian rapportait qu’une agence de sous-traitance pour deux grandes chaînes de supermarchés britanniques facturait 74 euros par tête et par semaine à des Bulgares pour dormir à sept dans une caravane de six couchettes. D’autres enfin font payer au candidat le droit de postuler à un emploi, une pratique illégale en Grande-Bretagne. « Dans les pays d’origine, les agences font payer les candidats contre la promesse d’un job et d’une pléiade de services qui ne sont jamais livrés », explique Andrew Dodgshon. Ailleurs, c’est directement sur les salaires des intérimaires que quelques agences n’hésitent pas à s’enrichir.
« Nous n’étions pas payées à l’heure mais au nombre de chambres », raconte la jeune femme. « Or, les jours où il y avait de nombreux départs et où les chambres devaient être faites à fond, il n’était pas possible de faire deux chambres par heure comme on nous le demandait », s’indigne-t-elle en tirant sur une cigarette. Résultat : Natalia enchaîne souvent 10 à 12 heures pour le même tarif. A la fin du mois, elle fait le calcul et s’aperçoit qu’elle travaille en moyenne pour 2,70 livres de l’heure, soit près de la moitié du tarif légal. Pis, elle apprend que la chaîne Hilton paye son agence 10 livres par chambre faite. A 5,35 livres le tarif pour deux chambres, l’agence empoche donc les trois quart de la somme versée par l’hôtel. Natalia hausse les épaules. « Il y a tellement d’argent à gagner ici que les gens acceptent de travailler pour rien. »
Le frein du permis de travail En mai 2004, huit pays de l’Europe de l’Est ont intégré l’Union européenne (Pologne, Lituanie, Slovaquie, Lettonie, République tchèque, Hongrie, Estonie et Slovénie). Au Royaume-Uni, en Irlande et en Suède, ils ont pu accéder librement au marché du travail. En janvier 2007, la Bulgarie et la Roumanie sont à leur tour entrées dans l’UE mais, dépassées par la précédente vague de migration, les autorités britanniques ont exigé l’obtention d’un permis de travail. Bilan : 579 000 Européens de l’Est se sont inscrits auprès des autorités de régulation du Travail entre 2004 et mai 2007. En 2005, ils étaient 194 953 à faire ces démarches. Parmi eux, 61,5 % de Polonais, 11,5 % de Lituaniens, 10,8 % de Slovaques.
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