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Un cybercafé sur le toit du monde
lundi, 1er mars 2004 / Clotilde WARIN

En avril 2003, Tsering Gyalzen Sherpa a tenté un pari fou : installer un cyber café au camp de base de l’Everest. Une première étape dans l’équipement internet de la région.

Des ordinateurs transportés à dos de yak. Il aura fallu une semaine à Tsering Gyalzen Sherpa pour trimballer l’équipement informatique à travers les sentiers escarpés qui mènent au camp de base de l’Everest. A 5400 mètres d’altitude, Tsering Gyalzen Sherpa a installé, en avril 2003, au camp de base le plus haut du monde, un café Internet. Le pari était osé. La tente bleue qui abrite le cybercafé, au cours des deux saisons d’alpinisme, n’est pas fixe car le glacier bouge de quelques centimètres chaque jour. Les huit ordinateurs portables, connectés par les ondes grâce au Wi-Fi, sont soumis à rude épreuve : la nuit les températures descendent facilement au-dessous de -20°C.

40.000 euros d’investissement

"Je n’ai pas suivi de formation particulière dans l’informatique, raconte ce Sherpa de 35 ans. J’ai appris par moi-même. Au début c’était un loisir, puis j’en ai fait un business". Dynamique et volubile, Tsering a séduit des investisseurs américains : Gordon Cook, un analyste des telecoms basé dans le New Jersey et Dave Hughes, un colonel à la retraite originaire du Colorado Springs, passionné d’Internet. La société américaine Cisco Systems, spécialiste des réseaux, lui a offert trois radios. En tout, le cybercafé, monté à l’occasion du cinquantenaire de la première ascension de l’Everest, a coûté 40.000 euros.
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Crédit : Jérôme Tubiana

Métier à haut risque

Cette installation est une sorte d’hommage à la famille de Tsering. Son grand-père, Gyalzen Sherpa, est à 86 ans le dernier Sherpa survivant de l’expédition de l’Australien Hillary et du Sherpa Tenzing Norgay, les premiers alpinistes parvenus au sommet du Toit du monde, en 1953. Son père était aussi alpiniste. Un métier difficile, risqué, "choisi" au Népal par les plus pauvres. "Mon père ne voulait pas que je devienne alpiniste, c’est pourquoi il m’a envoyé à l’école en Inde", explique Tsering dans un anglais parfait.

Clientèle de randonneurs

Après avoir géré une agence de trekking à Katmandou, Tsering est revenu dans sa région natale. A Namche Bazar, la capitale du pays Sherpa perchée à 3400 mètres d’altitude, il possède déjà cinq cafés Internet. Tsering est également détenteur des 35 lignes de téléphone des villages de la région, qui fonctionnent via le satellite. Au camp de base de l’Everest, le prix de la connexion reste hors de portée des Népalais. A 1 dollar la minute, il est 70 fois plus élevé que dans la capitale, Katmandou, et quatre fois plus qu’à Namche Bazar. Les randonneurs de passage et les alpinistes composent la clientèle du cybercafé, qui rapporte plus de 250 euros par jour. "Je ne cherche pas à m’enrichir, assure Tsering. Je veux juste assez d’argent pour nourrir mes deux garçons". De fait, un quart des bénéfices de l’entreprise est reversé au Comité de dépollution de Sagarmatha, le nom népalais de l’Everest. Cet organisme rassemble des Sherpas qui se sont donnés pour mission de nettoyer le camp de base de l’Everest.

Une entreprise culturelle

Tsering ne s’arrête pas là. Il cherche à connecter l’école de Khumjung, un village situé à 3800 mètres d’altitude, situé à une heure de marche de Namche Bazar, et compte petit à petit relier à Internet l’ensemble des écoles de la région. "Beaucoup d’enfants sherpas éduqués quittent la région et ne reviennent pas, déplore Tsering. Et ceux qui abandonnent l’école n’ont d’autre choix que de devenir porteurs. Je veux changer ça. Je veux les garder ici en leur offrant, grâce à Internet, une éducation de la même qualité que dans les grandes villes. Ainsi, les Sherpas cesseront peut-être de quitter leur pays pour aller vivre à Katmandou, en Europe ou aux Etats-Unis, et nous pourrons préserver notre langue et notre culture". L’Internet du Toit du monde, un moyen de défense de la culture Sherpa.

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Crédit : Jérôme Tubiana
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