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Electrons libres
jeudi, 7 juin 2007 / Pyf , / Laure Noualhat /

Journaliste errant dans les sujets environnementaux depuis treize ans. A Libération, mais de plus en plus ailleurs, s’essayant à d’autres modes d’écriture (Arte, France Inter, Terra of course, ...). Il y a deux ans, elle a donné naissance (avec Eric Blanchet) à Bridget Kyoto, un double déjanté qui offre chaque semaine une Minute nécessaire sur Internet.

Au 1er juillet, les Français pourront choisir librement leur fournisseur d’électricité. Une bonne nouvelle ? Pas forcément. Car on n’achète pas de l’énergie comme une paire de chaussettes.

Oyez ! Oyez ! Regardez comme il est frais mon électron, comme il est beau… et comme il va être cher ! Car le temps des privilèges est révolu. En France, jusqu’à présent, les prix de l’électricité étaient régulés. Grâce à l’énergie nucléaire, le kilowattheure se vendait une misère. Mais dans les années 1980 – les années Thatcher –, l’Union européenne a fait le choix de la libéralisation des marchés de l’énergie [1]. Au 1er juillet prochain, la France va à son tour devoir s’y plier.

Que va-t-il se passer ?

Dans un premier temps, rien. Personne n’envisage en effet une ruée vers les électrons libres. Le 1er juillet, les ménages ont leurs vacances en tête, pas leurs factures d’électricité. Pour les audacieux qui tenteront l’aventure ailleurs, méfiance. Car la décision est irréversible. Pour l’heure, seules les entreprises ont essuyé les plâtres. Elles avaient la possibilité de faire jouer la concurrence depuis 2000. Et pour elles, l’expérience s’est révélée amère.

« Entre avril 2005 et avril 2006, le prix du kilowattheure a bondi de 48 %, mais a baissé artificiellement de 26 % entre 2006 et 2007 », explique Marika Valtier, consultante chez NUS Consulting, une agence aidant les sociétés à réduire leurs dépenses d’énergie. Car face à ces envolées, les entreprises, qualifiées d’électro-intensives dans le jargon, ont obtenu la mise en place d’un tarif de transition baptisé Tartam. Pendant deux ans, à compter du 1er juillet, cet accord garantit aux entreprises un prix de transition vers le marché (pas plus de 23 % de plus que les tarifs régulés). C’est le cas pour le Centre hospitalier universitaire de Besançon, la RATP ou bien Air France, par exemple.

Les prix vont-ils partir à la hausse ?

Oui, ce qui est plutôt contraire aux bénéfices habituels d’une ouverture à la concurrence. Mais l’explication est logique. Quand le prix du pétrole et du gaz augmente, l’électricité – produite majoritairement à partir de pétrole et de gaz en Europe – voit le sien augmenter. Dans ce contexte, la France faisait donc un peu figure d’exception, en raison de son parc nucléaire. Bruxelles a donc décidé de corriger cette « injustice ». « On a considéré que l’énergie était un bien comme un autre, ce qui est faux », explique Jacques Percebois, directeur du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie (Creden).

Contrairement au secteur des télécommunications où la guerre des prix a été alimentée par une forte course à l’innovation, l’électricité dépend de moyens de production centralisés et peu innovants. Poweo, Direct Energie ou Suez ne vont pas bâtir des centrales nucléaires pour concurrencer EDF. Les nouveaux opérateurs n’ayant pas accès aux mêmes moyens de production, comment peuvent-ils proposer des prix aussi, voire plus bas ? Avec l’augmentation des tarifs, EDF se prépare logiquement une rente qui ravira ses actionnaires. Les concurrents, eux, espèrent augmenter leurs marges et investir dans de nouveaux moyens de production. Certains observateurs pensent toutefois que « de petits opérateurs décrocheront le pactole pendant quelques années avant de revendre leur société… Pourquoi pas à un géant de l’énergie comme EON, concurrent allemand d’EDF ! » Au final, le marché de l’énergie sera encore plus concentré qu’aujourd’hui.

L’ouverture à la concurrence a-t-elle un sens ?

Oui, écologiquement parlant. Un consommateur voyant sa facture d’électricité grimper aura tendance à surveiller sa consommation. Le réajustement tarifaire ne fait finalement que rétablir le « véritable » coût de l’énergie. Certains ménages convaincus de l’urgence environnementale s’estiment même prêts à franchir le pas dès le 1er juillet en allant voir des « fournisseurs d’électrons verts ». Comme Enercoop, un concurrent d’EDF qui ne fournit que de l’électricité 100 % renouvelable. Son métier consiste à acheter de l’électricité renouvelable à de petits producteurs – éolien, hydraulique, etc. – avant de l’injecter dans les tuyaux de ses clients. Ses tarifs se situent 20 à 30 % plus haut que ceux d’EDF. « C’est une démarche commerciale atypique, certes, explique le Pédégé d’Enercoop, Patrick Behm, mais elle est motivée par de véritables intérêts environnementaux. »


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