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Biocarburants - Le mirage écologique
jeudi, 24 mai 2007 / Cire , / Laure Noualhat /

Journaliste errant dans les sujets environnementaux depuis treize ans. A Libération, mais de plus en plus ailleurs, s’essayant à d’autres modes d’écriture (Arte, France Inter, Terra of course, ...). Il y a deux ans, elle a donné naissance (avec Eric Blanchet) à Bridget Kyoto, un double déjanté qui offre chaque semaine une Minute nécessaire sur Internet.

La fin du pétrole ? Etats et agriculteurs ne la craignent plus. Ils affichent leur solution énergétique et écologique : les agrocarburants. Mais cet « or vert », sur lequel se ruent de nombreux pays, pourrait se révéler bien pire que le mal.

Roulez citoyens, les paysans veillent ! A l’heure où la sobriété énergétique, la pollution atmosphérique et la société sans pétrole font la une de l’actualité, les champs du monde entier sont sollicités pour alimenter nos voitures. Alors, plutôt que d’envisager de nouveaux modes d’échange et de transport, on cherche le substitut, « l’elixir magique » selon les propres termes de George W. Bush, pour remplacer le sacro-saint pétrole. Avec les carburants des champs, on croit avoir trouvé la solution. Et on peaufine les mots pour le dire. Pourquoi « biocarburant » ?

Le terme est équivoque, car le pétrole végétal n’est absolument pas bio. Il vaut mieux parler d’« agrocarburant », c’est-à-dire de combustible provenant de l’agriculture. Ce remède n’est-il finalement pas pire que le mal ? Les agrocarburants plaisent aux gouvernements car ils caracolent en tête des solutions faciles et rapides à mettre en œuvre pour réduire – à court terme – les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports.

Pourtant, leur bilan environnemental est loin d’être positif. Leur production nécessite des intrants… issus de l’industrie pétrolière, de l’eau, et bien sûr, beaucoup de surfaces cultivables. L’usage de terres arables pour alimenter les voitures met en péril l’alimentation humaine, surtout dans les pays les plus pauvres où les populations ne pourront suivre l’augmentation du prix des denrées alimentaires. Les automobilistes des pays riches sont-ils prêts à imposer un nouveau chantage aux populations pauvres, à savoir « pétrole végétal contre nourriture » ?

Plus de 17 pays foncent bille en tête

L’or vert est censé réduire la dépendance à l’or noir. Pourtant, au rythme actuel de notre consommation, la pétro-dépendance a de beaux jours devant elle. D’après l’Institut français du pétrole, la consommation totale de biocarburants pourrait atteindre près de 60 milliards de tonnes équivalents pétrole (Mtep) à l’horizon 2015, soit un peu plus de 3 % de la consommation mondiale de carburants routiers : une goutte de vert dans un réservoir gargantuesque. Peu importe leur piètre capacité à se substituer au pétrole, les carburants des champs sont entrés dans l’ère de l’agrobusiness.

Plus de 17 pays foncent, bille en tête, dans le développement de cultures intensives pour alimenter leur parc automobile, ou celui de pays plus riches. Tous les gouvernements soutiennent cette essence encore hors de prix qui pourra concurrencer le pétrole le jour où le baril dépassera les 65 dollars. En attendant cette échéance, sondons un peu plus profondément les véritables motivations de cette ruée vers l’or vert.

Question 1/ Qui trouve- t-on derrière les pompes à agrocarburants ?

En première ligne, figurent les agriculteurs à la recherche de nouveaux débouchés. Suivent les agro-industriels comme l’association des betteraviers de France, ou le groupement Passion Céréales réunissant les grands céréaliers français. Ils se donnent tous la main pour investir dans l’agro-business : 1 milliard d’euros ont été budgétés pour financer des unités de transformation, notamment dans l’Aube, l’Alsace et les Pyrénées Atlantiques. Le pétrolier Total – qui incorpore déjà 1 à 2 % de diester dans son gazole – prévoit de nouvelles unités de raffinage, mais est particulièrement attentif à ne pas dépendre de la filière agricole.

Les constructeurs automobiles, quant à eux, ont longtemps freiné le développement des alternatives au pétrole. Contraints de faire évoluer leurs prix à la hausse en raison de ce saut technologique, ils craignaient une levée de boucliers chez les automobilistes. En 2004, le gouvernement Raffarin a prévu plus de 10 millions d’euros dans le cadre du Plan véhicules propres, pour que les constructeurs daignent étudier ce pétrole végétal. Dans le domaine de la recherche en revanche, on ne se fait pas prier pour développer les plantes à énergie.

L’Ademe finance et coordonne les programmes de recherche sur les carburants 1re génération (obtenus à partir de la graine) et 2e génération (fabriqués à partir des tiges et des feuilles). De son côté, l’Ifremer passe à la loupe les biocarburants marins. L’Institut national de recherche agronomique, l’Institut français du pétrole, le Commissariat à l’énergie atomique, ainsi que tous les centres de recherche associés aux industriels, cherchent ainsi à « inventer » l’essence agricole la plus performante.

Bien sûr, les pouvoirs publics orchestrent ce ballet agro-industriel avec l’aide de Bruxelles. L’objectif d’incorporation d’agrocarburants dans les réservoirs fixé par l’Union européenne s’élève à 8 % dès 2010. Paris a placé la barre à 10 %. Ce qui implique de porter la production nationale d’éthanol de 1,2 million d’hectolitres en 2003 à 14 millions en 2010, mobilisant ainsi 3 % des surfaces plantées en céréales.

Question 2/ A-t-on inventé la panacée environnementale ?

Oui, mais non. Du champ au pot d’échappement, le bilan en gaz à effet de serre est plutôt bon. Selon l’Ademe, l’éthanol issu du blé émet 60 % de CO2 en moins qu’un carburant de référence. D’autres études estiment à 30 % seulement cette économie, la différence provenant de la façon dont on comptabilise les co-produits issus de la culture [1]. Selon le calcul, le diester émet 50 à 70 % de CO2 en moins. Quant aux polluants locaux (microparticules, oxydes d’azote…), aucune différence notoire n’émerge pour l’heure. Le revers de la médaille se trouve ailleurs.

Les gains écologiques obtenus en brûlant du pétrole végétal dans les moteurs sont en effet annulés par les impacts de la phase de production. Pour produire un litre d’agrocarburant, il faut de plusieurs décilitres à un litre de pétrole selon le rendement de la plante (pour les engrais et/ou les pesticides, le transport, les machines agricoles…). « La production de biocarburants de première génération consomme de l’énergie fossile en quantité importante depuis la culture jusqu’à la livraison au dépôt de carburants », explique Olivier Louchard du Réseau d’action pour le climat (RAC), auteur d’un rapport sur l’impact des agrocarburants.

Indispensable pétrole

Selon l’Institut de recherche agronomique, et en se fondant sur l’objectif national de 5,75 % d’agrocarburants mélangés à l’essence ou au gazole, la contribution nette de ces carburants végétaux aux économies de pétrole en 2010 sera de l’ordre de 2 %, donc marginales. Greenpeace pointe un second inconvénient : le recours croissant aux organismes génétiquement modifiés, notamment pour les carburants de seconde génération.

Enfin, si les « biocarburants » ne peuvent constituer à proprement parler une « panacée énergétique », c’est qu’ils sont actuellement utilisés seulement comme additifs des produits pétroliers. En résumé, sans pétrole fossile, pas de pétrole vert dans les moteurs. Les seuls carburants végétaux utilisables tels quels sont les huiles. « Manque de chance, ils ont les plus mauvais rendements bruts », signale Jean-Marc Jancovici, consultant et expert en énergie. La totalité de la planète Terre ne suffirait pas s’il fallait alimenter les 600 millions d’automobiles et les 200 millions de véhicules utilitaires en circulation aujourd’hui dans le monde.

Question 3/ Peuvent-ils être à l’origine d’un boom économique ?

Dans un premier temps, oui. L’industrie des biocarburants a l’intention de répondre à 25 % des besoins énergétiques mondiaux dans les vingt prochaines années, selon un rapport des Nations unies. La production de ces cultures double tous les deux ans et 17 pays se sont engagés dans des productions à grande échelle, la France y compris. L’Ademe estime que l’intégration de 10 % de biocarburants dans les réservoirs d’ici à 2010 représente « 30 000 emplois dans le secteur agricole de l’approvisionnement et de la transformation ».

En Europe, on évoque de 45 000 à 75 000 emplois. Mais les agrocarburants ne sont pas rentables pour l’instant. Partout, les Etats sont contraints de mettre la main au portefeuille afin de les présenter sur le marché à un prix abordable. Comment ? En détaxant, en totalité ou en partie, l’agrofioul ; en accordant des crédits d’impôts pour l’achat de voitures adaptées ; en finançant des usines de transformation de végétaux. Mais la rentabilité future dépendra du prix du baril de brut. L’Institut français du pétrole estime qu’à 400 euros la tonne d’huile, « le biodiesel devient compétitif avec un gazole produit à partir d’un brut à 60-65 dollars le baril ».

Question 4 / Pourquoi sont-ils encouragés par les pouvoirs publics ?

Médiatisés sous un vernis écologique, les agrocarburants permettent de faire d’une culture trois coups. Ils aident à limiter les émissions de gaz à effet de serre à court terme, à pallier un épuisement des réserves de pétrole à plus long terme, et à favoriser le développement agricole. Plutôt que l’indépendance énergétique, c’est surtout l’emploi des agriculteurs qui est en jeu. Ces derniers reverdissent leur blason : ils produisent toujours de manière intensive, certes, mais pour la bonne cause… Car l’argument de l’indépendance énergétique ne tient pas la route. Les carburants issus de la terre comptent pour 10 % seulement des besoins des Français. Ils promettent donc une toute petite indépendance face aux cours du baril.

En revanche, ils permettent de lutter à court terme contre le changement climatique, une option bien pratique pour des pouvoirs publics ne désirant pas se lancer dans de grands chantiers d’économies d’énergie. Le secteur des transports est en effet responsable du tiers de nos émissions de gaz à effet de serre. « A court terme, dans le secteur des transports, rouler vert constitue le seul moyen efficace de faire baisser les émissions », affirme Jean-Louis Bal, spécialiste des marchés énergétiques à l’Ademe. Qui nuance : « La consommation de carburant représente 35 % de la consommation énergétique en France. Si on remplace 10 % du contenu de nos réservoirs par des carburants verts, on ne résout finalement que 3,5% du problème ! »

En tous cas, sans subventions publiques, les agrocarburants ne seraient pas rentables. La défiscalisation actuelle permet aux fabricants de produire des biocarburants de façon rentable dès que les prix du pétrole dépassent 15 à 20 dollars le baril. L’Etat est d’ailleurs plutôt généreux. Il signe un chèque de 110 euros pour chaque tonne de CO2 évitée pour les huiles et trois fois plus pour l’éthanol. Cette subvention équivaut à entre 4 et 10 fois plus que le prix du marché actuel (environ 30 euros la tonne de CO2 évitée).

Question 5/ Quel sera leur impact sur l’agriculture et la sécurité alimentaire ?

Mauvais. On connaissait le fameux « pétrole contre nourriture ». Certains paysans mexicains expérimentent aujourd’hui la « tortilla contre éthanol ». Aux Etats-Unis, rien qu’en 2006, plus du tiers du maïs national a servi à produire de l’éthanol, soit 48 % de plus qu’en 2005. Cette variation a un double effet. D’abord, cette céréale est devenue inabordable pour les consommateurs pauvres. Un drame pour la population mexicaine culturellement liée au maïs. Mais elle a surtout tiré dans son sillage l’ensemble des prix de l’alimentation vers le haut. Au Mexique, le prix de la tortilla a augmenté de 14 % en 2006…

D’après un récent rapport des Nations unies sur la question, les agrocarburants fragilisent l’avenir de millions de petits paysans en augmentant la volatilité des cours des produits alimentaires. « C’est un des gros points noirs du développement industriel de ces cultures », estime Arnaud Apoteker, chargé de campagne chez Greenpeace, qui minimise le rôle des seuls biocarburants. La sécurité alimentaire des populations locales est en effet globalement menacée par toutes les cultures industrielles d’exportation, comme le soja brésilien par exemple, qui sert à nourrir les élevages des pays riches. Si la crise énergétique se précipite, les Européens n’hésiteront pas à payer davantage pour passer à la pompe. Les populations des pays en développement, quant à elles, se retrouveront dans l’incapacité de dégager de nouvelles ressources pour manger.

Question 6/ Risquent-ils de devenir l’enjeu des futures relations internationales ?

Non. Parce que les surfaces consacrées aux agrocarburants n’atteindront jamais les capacités en pétrole du sous-sol saoudien. L’or noir est encore pour longtemps l’obsession des pays développés et en développement. Il n’empêche que les combustibles de la terre ont constitué l’un des principaux thèmes de débat du Forum économique mondial, qui s’est déroulé en janvier à Davos (Suisse). Et dans son discours sur l’état de la nation au Congrès, Georges W. Bush a annoncé son objectif de réduire la consommation d’essence de 20 % d’ici à 2017.

La recette ? Produire 132,4 milliards de litres de combustibles alternatifs, principalement de l’éthanol à partir du maïs. En avril, le Brésil et les Etats-Unis ont d’ailleurs conclu un partenariat pour développer la production et l’utilisation des biocarburants comme l’éthanol. Partout, la flambée du baril convertit progressivement les pays aux carburants verts. La Chine consacre déjà 25 millions d’hectares à ces cultures.

Mais si l’on prend en compte les perspectives de croissance des capacité de production et les différents objectifs de consommation de l’Union européenne, des États-Unis et du Brésil [2], l’équation reste décevante. La consommation totale de biocarburants pourrait atteindre près de 60 Mtep à l’horizon 2015 pour la planète. Soit un peu plus de 3 % seulement de la consommation mondiale de carburants routiers…

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