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2038 : On a marché sur la ville
jeudi, 10 mai 2007
/ Simon Barthélémy
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/ Cire
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Un journaliste américain, Phileas Mog, part enquêter aux quatre coins de la planète sur le quotidien de ces cités « modèles » conçues en 2006. De la Corée à la Bretagne en passant par l’Oural, partout, les villes se sont mises au vert. Carnet de voyages.
Alors que mon dirigeable survole New Songdo City, en Corée [Le site de New Songdo], la déception m’envahit. Rien de très dépaysant en fait. Vue du ciel, l’île artificielle, située à 60 kilomètres au sud de Séoul, n’est pas sans rappeler Manhattan, avec ses gratte-ciels, dont le fameux Northeast Asia Trade Tower et même son Central Park. Mode de transport très prisé en Asie [1], les dirigeables s’arriment au hub multimodal, où ils côtoient les cargos à voiles.
Bloc-notes en poche, je viens observer pour le Houston Tribune, la vie de cités modèles bâties avant les derniers chocs pétroliers. Ce reportage est un clin d’œil du destin. Il y a trente ans, en 2007, Houston, bâtie sur l’or noir, était rendue quasi-invivable par la piètre qualité de son air – le plus vicié de tous les Etats-Unis. Cette ville, où je suis né, a grandi sans plan d’urbanisme. Elle est celle qui compte aujourd’hui le plus de bidonvilles.
A New Songdo, je suis frappé par le nombre incroyable de canaux à la vénitienne qui s’entremêlent dans une multitude de petits parcs. L’un des maîtres d’œuvre du projet m’explique qu’il s’agissait de « rafraîchir les températures désormais tropicales sous ces latitudes ».
C’est que tous les citoyens possèdent ici des puces RFID microscopiques implantées sous la peau où sont stockées l’ensemble de leurs informations vitales : identité, biométrie, coordonnées bancaires, numéro de Sécurité sociale et informations médicales, etc. Ces données sont reconnues par tous les terminaux, que ce soient les bornes minicars, la porte de son domicile ou même les poubelles. Lorsqu’un habitant y déverse des déchets consignés, aussitôt aspirés dans le réseau souterrain, son compte se trouve automatiquement crédité. Résultat : une ville impeccable.
Ce soir, je dîne avec Keum, la correspondante locale du Houston Tribune et son ami Junpei, élu démocrate de la ville. Chez elle, la domotique s’invite dans chaque recoin de son appartement situé au 87e étage. Les appareils électro-ménagers y « dialoguent » avec leurs maîtres, trouvent les programmes télé ou préparent les pâtes al dente. « Quand mon grand-père est tombé dans son appartement, m’explique Keum, les capteurs incrustés au sol ont alerté les urgences. » Tous les logements sont connectés au réseau Internet optique.
Les transports superflus sont bannis. Et les téléconférences professionnelles ou privées demeurent la règle. « Les gens parlent davantage avec leurs murs plasma qu’entre eux », s’amuse Keum. Du coup, la surveillance est accrue et permanente. « Toutes les administrations et certaines entreprises ont accès à des données personnelles et les fichiers se recoupent, mais cela s’effectue de façon totalement transparente. Les citoyens possèdent un droit de regard inaliénable, m’explique Junpei. Les Occidentaux qui vivent ici apprécient de se sentir en sécurité. »
La technologie s’affiche partout. Et pour cause : en 2005, les concepteurs de New Songdo l’avaient proclamée première « U-city » (pour « Ubiquitous computing », ville où l’informatique est omniprésente). Achevée en 2015, elle s’est peu à peu convertie en vitrine du savoir-faire coréen. A l’époque, le ministère de l’Information et de la Communication avait investi 297 millions de dollars dans un centre de recherche RFID. Objectif : attirer les investisseurs dans un pays en plein boom et à « 3 h 30 d’avion du tiers de l’humanité ». Dans la zone franche, un laboratoire consacré aux bio et nanotechnologies se retrouvait en concurrence avec d’autres pôles de compétitivité, comme Minatec, à Grenoble en France. La tête engourdie par les chiffres, je file à mon hôtel à bord d’un taxi collectif qui s’engouffre sur Canal Street. L’avenue est éclairée par des lampadaires à diodes solaires.
Rien n’a été laissé au hasard, hormis l’afflux de populations pauvres. A l’instar de la capitale brésilienne Brasilia sortie d’une savane désertique en 1960, la création de New Songdo a attiré à elle les populations démunies. Mais 70 000 personnes seulement peuvent se permettre de vivre dans le centre-ville, où travaillent cinq fois plus de monde. En fin de journée, j’assiste donc à d’extraordinaires bouchons de deux-roues sur le pont reliant la ville au continent.
C’est un promoteur américain, Gale, et la société de BTP coréenne Posco, qui ont mené le projet New Songdo City, jadis le plus grand investissement privé urbain (25 milliards de dollars). Elevée sur l’eau, New Songdo est caractéristique de nombreuses villes d’Asie et des Pays-Bas, où les terres arables ont été préservées. Les polders se multiplient donc, équipés de digues contre la montée des eaux et exposés aux vents du large qui produisent de l’énergie, tout comme la houle marine. Mais la ville tourne aussi la tête vers le ciel. Avec le soleil, elle puise une source d’énergie gratuite et infinie. Les bâtiments sont couverts d’enduit contenant des cellules photovoltaïques, ce qui débarrasse toits et façades des panneaux solaires [2]
Dès le début du XXIe siècle, la ville de New Songdo a voulu protéger ses arrières sur le plan financier. Comme à Houston, le budget a été allégé grâce au transfert massif de chantiers vers les entreprises privées. Elles ont largement investi dans les villes nouvelles, grâce aux fortunes réalisées dans l’immobilier, le pétrole et les matières premières. Les monarchies du Golfe ont ainsi bâti les cités de leurs rêves, comme Palisades, havre de magnats du pétrole au cœur du désert de Dubaï. Aux portes d’Ekaterinbourg, troisième ville de Russie, la cité d’Akademia est sortie de terre à la même époque et avec un budget similaire à celui de New Songdo. Initiée par l’oligarque Viktor Vekselberg, actionnaire de référence de la compagnie d’aluminium Sual, cette métropole constitue la prochaine étape de mon voyage.
Je m’engouffre aussi sec dans un métro. Beaucoup d’équipements publics sont ici enterrés afin de résister aux températures rugueuses (- 40°C l’hiver, + 40°C l’été). Tous les bâtiments sont reliés à une usine de cogénération, qui produit à la fois chauffage et climatisation, selon la saison, grâce au bois des forêts environnantes. Ce zeste de collectivisme soviétique autorise d’importantes économies l’hiver. L’été, tout le monde prend le frais sous les arbres, où j’écris ces lignes. La rivière et les canaux qui traversent la ville rendent en effet le climat supportable même pour un Américain élevé à la clim’ comme moi.
Akademia constitue un modèle d’éco-cité. Mais contrairement à la ville chinoise, construite pour résorber sa population, Akademia avait pour dessein d’attirer des habitants dans une contrée manquant de main-d’œuvre. Malgré la crise économique des années 2020, qui a plombé le secteur des matières premières de l’Oural, l’objectif de 350 000 habitants est dépassé. Beaucoup ont déserté Ekaterinbourg, comme Youri, un ingénieur. Selon lui, « le trafic automobile et la pollution y étaient devenus invivables ». Mais l’homme continue d’y travailler grâce à un train qui fait le trajet en 10 minutes. A Akademia même, plus besoin de voiture.
Non seulement les îlots sont parfaitement connectés entre eux par métro, tramway, pistes cyclables et allées piétonnes, mais la mixité de fonction des bâtiments (bureaux, commerces, équipements et logements) associée à la mixité sociale (HLM et résidences privées), limitent les besoins de déplacements. Les seules voitures autorisées sont électriques et silencieuses, et je manque au passage de me faire renverser. « Nos îlots ressemblent un peu à des cocons repliés sur eux-mêmes, note Helena, une étudiante en troisième cycle d’administration durable. Heureusement, les gens se retrouvent tous dans les parcs pour sortir. » L’exemple russe répond ainsi tant aux préoccupations anglo-saxonnes de la « cité jardin » qu’à celles du New Urbanism visant à reconstruire nos banlieues étalées et dépendantes de la voiture.
L’Occident et son climat plus tempéré est-il parvenu à anticiper les variations de température à la hausse ? Pour trouver une réponse à cette question, je décide de me rendre dans une autre péninsule du continent eurasiatique. J’emprunte cette fois le TGV trans-européen (TTE). Destination la capitale bretonne, Rennes, dernière étape de mon reportage. Dès 2007, des architectes ont tenté de faire face à une augmentation de température de 6°C en cent ans [3]. Soit le pire scénario envisagé à l’époque par le Groupement intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec).
Le thermomètre n’a finalement pas autant grimpé, mais les idées de cette équipe internationale de scientifiques ont fait fureur. La métropole bretonne est parvenue à un cocktail de technologies de pointe – pour isoler et aérer les bâtiments anciens (vitrages intelligents pour capter ou repousser la lumière) – et de pratiques traditionnelles. A mille lieux du « tout technologique » de New Songdo City, je vois défiler des individus à cheval ou à bord de carrioles. « La traction animale a fait un retour marqué après la crise du pétrole, m’explique un responsable de la régie locale de transports. Mais côtoyer les animaux nécessite aussi un renforcement des systèmes immunitaires humains contre les allergies et les virus. »
Je poursuis mes observations et bifurque vers le Parlement de Bretagne. Comme en Corée, les voitures propres et les vélos sont aussi en libre-accès. Mais ici, point de puces RFID. Rennes a, par ailleurs, freiné la privatisation des cours intérieures, qui s’amplifiait dans de nombreuses cités européennes, afin de rendre au public des espaces ombragés. Les façades sont végétalisées et les jardins suspendus aux immeubles. Les digicodes ont été jetés aux oubliettes et les concierges réhabilités.
Malgré mon français balbutiant, je réussis à me faire ouvrir la porte de splendides bâtisses moyen-âgeuses. La terre a été mise à nu aussi souvent que possible. Des pelouses absorbent la chaleur et récupèrent l’eau de pluie, transvasée vers des bassins de filtration naturelle à ciel ouvert. La pluie est en outre captée sur tous les toits. « En 2006, indique Yannick Gourvil, l’un des architectes, il tombait déjà dix fois plus d’eau pendant l’année que celle qu’on allait capter à 50 kilomètres de profondeur. » Chaque bâtiment est donc désormais « eautonome » et mutualise ses ressources avec ses voisins.
Merci pour leurs éclairages à Bernard Decomps de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, Jean-Luc Salagnac du Centre scientifique et technique du bâtiment et Jean-Michel Roux, spécialiste d’économie et de planifications urbaines.
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