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Le smic se paye une campagne
jeudi, 15 mars 2007 / Toad , / Boris Cassel

Un smic à 1500 euros ? La gauche le réclame. La droite fulmine. Les économistes doutent.

« La France se smicardise. » Le thème est à la mode. En 2005, 16,8 % des salariés, soit 2 540 000 personnes, étaient « smicardes ». Alors, sans surprise, la gauche se positionne. Objectif : porter le salaire minimum interprofessionnel de croissance à 1 500 euros. Dominique Voynet propose 1 500 euros net. Soit 50 % d’augmentation. Ségolène Royal veut la même chose, mais en brut et « avant la fin de la législature (2012) ». Le smic s’élève aujourd’hui à 1 254,28 euros brut pour 35 heures travaillées. Il augmenterait alors de 20 %. François Bayrou juge cette proposition « truquée » voire « nocive ». A sa droite, Nicolas Sarkozy ironise sur « le tout petit effort » que représente cette mesure. Sa porte-parole Rachida Dati estime qu’il serait « préférable de faire croître le pouvoir d’achat de tous les salariés en augmentant tous les salaires ».

Marché du fromage blanc

Chaque 1er juillet, le salaire minimum horaire est réévalué afin de garantir le pouvoir d’achat des salariés et de faire baisser les inégalités entre eux. La règle veut que le smic soit majoré « automatiquement ». Et le gouvernement peut décider d’un « coup de pouce » supplémentaire en cas de forte inflation par exemple. Depuis l’an 2000, le salaire minimum horaire a gagné 29 % en partie grâce à la réduction du temps de travail. Le passage aux 35 heures s’est fait en plusieurs vagues, ce qui a conduit à la création de plusieurs salaires minimums différents : sept au total. Les dispositifs Fillon votés en 2003 ont conduit à la « fusion » de ces smics. Selon Yannick L’Horty, professeur d’économie à l’université d’Evry « ces variations du salaire minimum ont eu peu d’effets, à la fois sur le coût du travail grâce aux politiques de baisse des cotisations sociales et sur le revenu mensuel des salariés, car le temps de travail a diminué ».

Pour les économistes d’obédience keynésienne, le salaire donne les moyens aux travailleurs de « consommer et de relancer la machine économique ». Mais les récentes évolutions du smic n’ont pas eu les effets escomptés. La consommation des ménages a progressé en moyenne de 2,26 % par an entre 2001 et 2005. Contre 3,8 % en moyenne par an entre 1998 et 2000.

Inversement, les économistes, dits « néo-libéraux », font appel au « bon sens ». Pour eux, le marché du travail fonctionne comme celui des pommes ou du fromage blanc : j’achète si j’ai besoin, à un prix qui me convient. Autrement dit, si vous me rapportez plus que vous ne me coûtez, je vous emploie. Selon eux, fixer « arbitrairement » un salaire minimum rendrait trop onéreux l’embauche d’un salarié peu productif. Toute hausse du smic excluerait donc du monde du travail les salariés faiblement qualifiés et favoriserait les délocalisations vers les pays à bas salaires. L’historien spécialisé en économie, Jacques Marseille [1], remarque que « pour que le smic soit un instrument de redistribution des richesses au profit des plus défavorisés, il faut que son influence sur le coût du travail soit maîtrisée. Sinon, il peut accroître les inégalités en empêchant les personnes les moins qualifiées d’obtenir un emploi. »

Miroir aux alouettes

Les gouvernements successifs ont intégré cette logique. Les dernières hausses du smic et la réduction du temps de travail ont été accompagnées de baisses des cotisations sociales patronales. Et alors ? Alors, ces allégements de charges se sont traduits par une compression des salaires autour du salaire minimum. Autrefois, les hausses du smic se répercutaient par un « effet de diffusion » sur les autres salaires. Aujourd’hui, cet enchaînement n’est plus au rendez-vous. C’est ce que les économistes appellent le phénomène de « trappe à bas salaires ».

Pour les salariés payés moins d’1,6 fois le smic, toute augmentation de salaire génère un plus fort taux de cotisation. L’entreprise doit ainsi consentir un double effort. Du coup, elle hésite. Le nombre de salariés payés au smic augmente alors mécaniquement. Porter le smic à 1 500 euros grossirait-il encore le trait ? Christophe Ramaux, professeur à Paris-I, relativise : « 1 500 euros en 2012, cela signifie une augmentation de 3,5 % par an, soit un “ coup de pouce ” annuel d’à peine 1 %. » Les économistes sont tous d’accord : l’inflation fera l’essentiel du boulot.

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