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Aux consommateurs anonymes
jeudi, 26 octobre 2006 / David Garcia , / Roxane Arleo

Autrefois, le niveau de revenu se devinait au style de vêtements, ou au contenu du panier de courses. Désormais, c’est quasiment bonnet blanc, blanc bonnet.

"La moitié des plus grands centres commerciaux dans le monde se trouve en Chine", titrait le New York Times le 4 juin 2005. De quoi approvisionner la nouvelle classe moyenne chinoise, soit la bagatelle de 70 à 120 millions de consommateurs ! Preuve qu’après les Etats-Unis en 1920 - avec l’apparition de la mythique Ford T - et l’Europe occidentale dans les années d’après-guerre - Ah, la 2 CV, la Coccinelle et la 4 L... -, "la consommation est devenue un phénomène mondial", dixit l’anthropologue Dominique Desjeux [1].

Hier comme aujourd’hui, dans l’Hexagone, en Inde ou au Brésil, la "propension à consommer", pour reprendre la terminologie employée par l’économiste Keynes, dépend du niveau de revenu. Concrètement, plus on est riche et plus on a les moyens de s’offrir une voiture de sport, des vêtements chic ou un téléviseur à écran plat. Inversement, les familles pauvres consacrent l’essentiel de leur revenu aux dépenses alimentaires. Irréfutable, cette loi d’airain vaut pour tous les pays et toutes les époques.

Ecran plat ou pommes de terre ?

Pour autant, les modes de consommation, en particulier alimentaires, ont considérablement évolué au cours des quarante dernières années. Se nourrir ne constitue plus la priorité numéro un des consommateurs. En France, la part de l’alimentation est ainsi passée de 31,35 % à 16,38 % du budget familial, toutes catégories sociales confondues. "Avec l’élévation générale du niveau de vie, les ménages ont dépassé le stade de la survie", souligne le sociologue Nicolas Herpin, coauteur d’un livre sur la consommation des Français [2]. N’en déplaise aux pessimistes, le pouvoir d’achat des salariés n’a cessé d’augmenter depuis les sixties. Y compris lors des périodes de récession économique comme 1993, annus horribilis par excellence. Ce qui n’empêche pas la persistance de fortes disparités entre groupes sociaux. Le panier des pauvres reste "plus lourd en pain, riz, pâtes alimentaires, pommes de terre et légumes secs", décryptent Nicolas Herpin et Daniel Verger. Et comprend plus de graisses et de sucre. Conséquence : l’apparition d’une surreprésentation des obèses parmi les plus pauvres de 3 % chez les hommes et de 5 % chez les femmes." décrypte Nicolas Herpin. Les générations antérieures ont tellement craint d’avoir faim que la peur de manquer de nourriture reste prégnante chez les plus démunis." Et puis, un certain embonpoint a longtemps été synonyme d’aisance matérielle...

Mais la consommation ne se réduit pas aux comportements d’achats. Elle révèle aussi (surtout ?) un désir lancinant de distinction sociale. Le sociologue Pierre Bourdieu a mis en lumière ce processus de différenciation et de domination entre classes sociales. « Il montre notamment comment un goût que l’on croit personnel relève en réalité d’un effet d’appartenance sociale », analyse Dominique Desjeux. Entre autres exemples, Bourdieu étaye sa démonstration sur le fait que les consommateurs issus d’un milieu populaire préfèrent acheter leurs meubles dans un grand magasin (38 % contre 1 % des consommateurs des classes supérieures). Tandis que les plus fortunés en pincent pour les antiquaires (38 % contre 1 %). Affaire de goût donc et de disposition sociale.

Haut de forme et redingote au placard "Pas si simple ou plus aussi vrai qu’autrefois", réfutent Herpin et Verger, pour qui la division sociale entre cultures populaire et élitiste n’a rien d’évident. "Bien sûr qu’il demeure des pratiques propres à une certaine bourgeoisie cultivée, admet Nicolas Herpin. Mais globalement les manières de consommer se rapprochent de plus en plus." Les sociologues qualifient cette tendance lourde de "moyennisation" des styles de vie : mêmes vêtements, mêmes meubles, même télévision. "Sauf à se ridiculiser, on ne s’habille plus en "pingouin" pour étaler sa richesse, insiste-t-il. Tous des clônes en quelque sorte.


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