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Pirates d’or vert
jeudi, 31 août 2006 / X , / Jean-Claude Gerez

Pour alimenter leurs laboratoires de recherche, des groupes pharmaceutiques n’hésitent pas se servir en ressources naturelles dans les pays du Sud. Voyage au pays d’un commerce bien peu équitable.

Au Brésil, en Afrique du Sud ou en Thaïlande, la scène laisse désormais indifférent. Chaque jour ou presque, des agents de police interpellent de pseudo-vacanciers sur le point de quitter le pays. En guise de souvenirs, ces "touristes" rapportent dans leurs bagages, mygales, scarabées, serpents, semences et autres plantes aux vertus médicinales. L’idée ? Revendre ces trésors biologiques aux laboratoires occidentaux de l’industrie pharmaceutique et cosmétique. Ces derniers sont de grands consommateurs de gènes et de micro-organismes en tout genre, utiles pour mener leurs recherches sur les médicaments, crèmes ou parfums de demain. Objectif à terme : décrocher de juteux brevets.

"Avec un chiffre d’affaires de plus de 50 milliards d’euros par an, la "bio-piraterie" est considérée comme l’une des activités illégales les plus lucratives au monde, juste après le trafic d’armes et celui des produits stupéfiants", explique Moacir Bueno Arruda, biologiste à l’Institut brésilien de l’environnement (Ibama). Industrie de la confection, marchés des animaux de compagnie, des produits végétaux et du bois d’œuvre, des produits médicaux et des plantes d’ornement . le commerce mondial des espèces sauvages est à la fois immense et diversifié. Et ce, malgré la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction (Cites) (1), qui régit le commerce international de quelque 30 000 espèces.

Voleurs guidés au GPS

Favorisé par une demande non régulée au Nord et l’insuffisance de contrôles et de sanctions dans les pays du Sud, où s’effectuent l’essentiel des trafics, la bio-piraterie prospère. Et ce, d’autant que les "bio-voleurs" travaillent généralement pour des réseaux criminels organisés, qui leur fournissent des moyens techniques sophistiqués comme des GPS. "En moins d’une décennie, assure t-on à l’Union mondiale pour la conservation de la nature (UICN), ce trafic est devenu une industrie". Une industrie lucrative dont les pays du Sud devraient en partie bénéficier d’après la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) signée en 1992. L’accord prévoit "un partage juste et équitable des avantages tirés de l’exploitation des ressources génétiques." Mais la réalité est tout autre.

Car les grands groupes pharmaceutiques, agro-alimentaires et cosmétiques - pour ne citer que les plus actifs - pillent sans aucune contrepartie les ressources biologiques de la planète. Le marché des produits génétiques est en plein essor avec des recettes estimées entre 20 et 30 milliards de dollars par an. Ce trafic est d’ailleurs dénoncé par les populations autochtones inquiètes de la disparition rapide des ressources naturelles. Responsable désigné ? L’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont les accords, niant la reconnaissance des savoirs traditionnels et la propriété intellectuelle, sont pourtant les seuls à prévaloir aujourd’hui.

Le grand pillage

Si les grands laboratoires sont prêts à casser leur tirelire, c’est que le jeu en vaut la chandelle. Le "Titanus", un scarabée brésilien, se vend sous le manteau jusqu’à 5 000 dollars. Un kilo de "Pau d’Arco", une plante aux vertus digestives, est valorisé 1 100 dollars. Le simple gramme de venin du serpent "jararaca", qui servira de base essentielle à la fabrication du Captopril, l’un des antihypertenseurs les plus utilisés au monde, est vendu 400 dollars. Et à ce petit jeu, les pays du Sud perdent quasiment à tous les coups.

L’exemple le plus frappant est celui de la brazzeine, une plante cultivée depuis des siècles au Gabon, en Afrique équatoriale. Dans les années 90, des chercheurs américains de l’université du Wisconsin sont parvenus à extraire de ce végétal une protéine mille fois plus sucrée que le sucre, mais nettement moins riche en calories. Résultat, l’université a déposé des brevets et accordé des licences d’exploitation à plusieurs sociétés de bio-technologie, dont aucune n’est gabonaise. Pour des bénéfices espérés de l’ordre de... 100 milliards de dollars par an.

La convention Cites

Le site de l’IUCN

La convention CDB


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