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Enron : le jour du jugement dernier
jeudi, 11 mai 2006 / Walter Bouvais /

Cofondateur et directeur de la publication du magazine Terra eco et du quotidien électronique Terraeco.net

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Des années de collusion avec le pouvoir et de manipulations ont fait d’Enron un cas d’école de la criminalité en col blanc. Les ex-dirigeants plaident "non coupable".

Vacances sur la Côte d’Azur, achat d’antiquités en Espagne... Kenneth Lay, l’ancien patron d’Enron répond ces jours-ci, devant un jury populaire de Houston (Texas), de son train de vie et de ses responsabilités dans l’un des plus grands scandales financiers récents. Jusqu’au 2 décembre 2001, le nom d’Enron ne disait rien à la plupart des Européens. Ce jour-là, date de l’annonce de la faillite de l’entreprise, 62 milliards de dollars partirent en fumée. 4 500 salariés américains perdirent leur emploi et leurs économies. Le jeu de Meccano mis au point par Kenneth Lay - un proche de George W. Bush - et son bras droit Jeffrey Skilling venait de s’effondrer.

5 ingrédients pour un hold-up

L’enquête menée depuis a permis de mettre au jour les pratiques de la multinationale. Première d’entre elles : l’intoxication. C’est au milieu des années 1990 que ce spécialiste de la distribution de gaz naturel se lance dans une intense bataille d’influence pour la dérégulation des marchés de l’énergie. Principale recette : le financement d’études pseudo -indépendantes, censées démontrer les bienfaits de la libéralisation pour la facture d’électricité des consommateurs. Quand, en 2001, des coupures d’électricité plongent les Californiens dans le noir et font s’envoler leur facture, les mêmes techniques sont employées pour convaincre les médias que l’incident est dû à un excès de demande. Avec quelques concurrents, Enron avait en fait manipulé les cours de l’électricité.

Deuxième "secret de la réussite" : la proximité avec le pouvoir. Ami du père et du fils Bush, Kenneth Lay fut un des soutiens financiers de la carrière politique de l’actuel président des Etats-Unis, selon le Center for Public Integrity. En retour, le président George W. Bush bâtit un "plan Energie" sur mesure : Lay fut reçu en privé à plusieurs reprises par le vice-président Dick Cheney. Dérégulation du marché de l’électricité, assouplissement des règles : au total, 17 mesures du plan portaient la signature de Lay. Troisième ingrédient : l’ambition internationale. Enron pesa sur la fixation de l’agenda de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), via l’US Coalition of Service Industries (USCSI). Il s’agissait de pousser l’ensemble des pays de l’OMC à ouvrir leurs services - y compris les services publics - à la concurrence. La chose faite, les équipes d’Enron, spécialisées dans l’énergie, le trading, les réseaux câblés et le papier, débarquaient pour "cueillir" de nouveaux marchés.

En Bolivie, en Inde ou au Brésil, les équipes d’Enron prirent aussi part à des projets controversés, nuisibles à l’environnement ou à l’équilibre social des populations, dont l’ONG américaine Seen a dressé une liste interminable. Cerise sur le gâteau - et quatrième "secret de fabrique" d’Enron, l’entreprise eut recours aux organismes publics internationaux pour financer certains projets risqués. Le Seen et l’Institute for Policy Studies évaluent à plus de 7 milliards de dollars le total des sommes ainsi décrochées par Enron en dix ans.

Tour de passe-passe

Mais de tout cela, les gazettes économiques n’ont pipé mot avant 2001 : elles étaient sous le charme de la réussite entrepreneuriale de... prestidigitateurs. Car l’entreprise, endettée, multipliait les créations de sociétés "offshore" (Bahamas, Bermudes, Caïmans) qui recueillaient en toute opacité les dettes du groupe. Parfois, avec le financement des banques et l’approbation de feu le cabinet d’audit Andersen. Ce petit manège cessa en 2001 lorsque la SEC - le gendarme américain de la Bourse - déclencha une enquête contre Enron. Aujourd’hui, le nom d’Enron a disparu corps et bien. Mais ses principaux dirigeants, Kenneth Lay et Jeffrey Skilling, plaident non coupables devant un jury de Houston. Ils rejettent la faute sur leurs subalternes, sur les médias et sur la morosité économique de l’après-11 septembre 2001. Ultime tentative d’intoxication ?

Sources : Multinationales 2005, Ed. Danger public ; Novethic.fr ; Center for Responsive Politics ; Congrès US ; CrossCountry Energy ; The Washington Post.


QUE RESTE-T-IL D’ENRON ?

Enron est née en 1985 de la fusion de Houston Natural Gas et de Internorth of Omaha, créant le premier réseau de distribution de gaz des Etats-Unis. Spécialisée dans les activités de négoce, à la tête d’un chiffre d’affaires déclaré de près de 139 milliards de dollars, la multinationale pointait en 2001 en 6e position du classement Fortune des plus grosses entreprises du monde, derrière Wal-Mart, Exxon-Mobil, General Motors, BP et Ford.

Après sa faillite (2001), l’entreprise s’est restructurée en deux pôles : CrossCountry Energy a repris un réseau de 15000 kilomètres de gazoducs aux Etats-Unis et Prisma Energy, les activités internationales du groupe déchu.

FICHE D’IDENTITE

Nationalité : américaine

Créée en 1985

33 000 salariés (au firmament de l’entreprise, en 2001)

Principaux dirigeants : Kenneth Lay et Jeffrey Skilling