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Je suis venu vous dire que je souffre
jeudi, 16 mars 2006 / Arnaud Gonzague

Qu’on ne se fie pas au titre à rallonge du documentaire "Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés" : ce n’est pas un pensum. C’est un coup de boule.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés, documentaire de Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau (1h20)

Les idées les plus simples font souvent les documentaires les plus efficaces. Après avoir lu Souffrance en France (Seuil) alarmant réquisitoire contre les maux du travail mené par le psychiatre Christophe Dejours, deux documentaristes en ont eu une bonne : poser leur caméra dans trois services hospitaliers destinés aux salariés au bout du rouleau et laisser tourner. Plan fixe, champ-contrechamp. Difficile de faire mise en scène plus ascétique. Pourtant, le résultat est édifiant et, à certains moments réellement bouleversant.

Ma santé contre ma rentabilité

Quatre salariés (deux ouvrières, un cadre et une employée) répondent ainsi aux questions des médecins. Ils se livrent, racontent les oukases incompréhensibles d’une direction, dépeignent l’ingratitude d’un supérieur, les remarques offensantes d’un autre... Tout ceci est anecdotique et, pourtant, universel. Car ces récits décrivent à merveille les maux qui accablent le salariat occidental du début de XXIe siècle : augmentation sournoise des cadences, nécessité accrue de répondre aux injonctions de rentabilité, autonomisation des employés qui rime non avec liberté, mais avec abandon, invisibilité angoissante des hiérarchies, etc.

Face à ces grandes mutations, on observe les personnes passer par toutes les couleurs de la souffrance humaine : surprise, colère, anxiété, culpabilité, honte, déception et enfin, invariablement, dépression. Comme des insectes pris dans un rouage à échelle inhumaine, les individus se débattent, seuls. Car la solitude du salarié, l’absence de solidarité des autres sont au fond les vrais thèmes de ce documentaire. Son titre n’est d’ailleurs pas fortuitement tiré de la fable de La Fontaine, Les animaux malades de la peste. Dans celle-ci, puisqu’il faut bien trouver un coupable à la peste, on sacrifie l’âne, le plus inoffensif de tous les animaux... Pas besoin d’être sociologue du travail pour comprendre combien cette morale est contemporaine.

On regrettera donc un peu le dernier quart d’heure du film, où les médecins, réunis autour de Christophe Dejours, analysent les mutations de l’entreprise, ressorts de l’aliénation moderne. Une redite bavarde, qui prouve que les documentaristes n’ont pas eu confiance dans la force des témoignages recueillis. Ils ont eu tort !


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