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Bouygues : des amitiés en béton
mercredi, 1er mars 2006 / Juan Escudero

Les "Bouygues" adorent les challenges. La concurrence pure et parfaite, moins. L’ex-numéro un mondial de la construction travaille aussi bien pour les démocrates que les dictateurs.

Depuis sa création en 1952, Bouygues cultive une certaine idée de la concurrence qui n’est pas étrangère à son succès. Ainsi, en décembre 2005, le Conseil de la concurrence condamnait Bouygues Télécom à payer une amende de 58 millions d’euros pour "entente illicite" avec Orange et SFR - sommés de verser respectivement 256 et 220 millions d’euros. Selon l’association UFC-Que Choisir, le préjudice subi par les consommateurs s’élèverait à 1,2 milliard d’euros.

Bouygues Construction avait déjà été condamnée en janvier 2003 dans une affaire d’entrave à la concurrence. Le montage de la fraude est à chaque fois le même. Afin d’éviter une concurrence à la loyale susceptible de jouer à la baisse sur les prix, les majors du BTP se partagent les marchés en amont. Le Pont de Normandie est tombé dans l’escarcelle de Bouygues de cette manière.

Plutôt que de se battre comme des chiffonniers avec Campenon Bernard, à l’époque filiale de la Générale des eaux, la marque au logo orange scelle un pacte de gentlemen avec son rival. Jusqu’au jour où un cadre de Campenon Bernard, mal dans sa peau, révèle le pot aux roses aux enquêteurs de la police judiciaire. Verdict : 22,5 millions d’euros d’amende pour Bouygues, bien plus lourdement condamnée que son pire ennemi Vinci Construction (4,7 millions) ou qu’Eiffage TP (3,4 millions).

La façade se lézarde

Bouygues n’avait pas besoin de cela. Car l’industriel n’est plus numéro un mondial. Il a été détrôné par Vinci au milieu des années 90. Pire : la filiale BTP a chuté de son piédestal au sein même du groupe. Et cède même de plus en plus la vedette aux TF1, Colas - numéro un mondial de la construction de routes - et Bouygues Télécom, filiale préférée du pédégé Martin Bouygues. Il faut dire que les étoiles montantes du groupe, achetées dans le cadre d’une politique de "diversification", selon l’expression alors employée par le fondateur Francis Bouygues, sont désormais bien plus rentables que le métier historique.

Exit les gros chantiers comme ceux de l’Université de Riyad, en Arabie Saoudite ou la mosquée de Casablanca au Maroc ! Hormis le Turkménistan et quelques jolis coups, l’international ne rapporte plus autant.

Les baroudeurs raccrochent

Alors que Bouygues Construction vient de renouer péniblement avec les bénéfices après des années de déficit, le management ne jure plus que par la "maîtrise des risques". "Plus tu fais grand et loin de chez toi (surtout dans des pays instables et avec des risques de change), plus tu risques de perdre tes billes, analyse un cadre de Bouygues. Donc, mieux vaut se lancer sur des chantiers en groupement d’entreprises, bien verrouillés, moins loin et avec moins de risques. C’est toute l’époque des années 1970-1980 chez Bouygues qui tombe à l’eau, celle des baroudeurs, des cow-boys, de la conquête internationale et des énormes chantiers".

Mais Bouygues va mieux. Le bénéfice du groupe a doublé en 2004. De quoi retrouver l’appétit de conquêtes d’antan. Avec la complicité des principaux dirigeants politiques (de droite comme de gauche) sur qui les Bouygues peuvent compter depuis plus de trente ans. Dernier exemple en date : la future chaîne française internationale... de service public, pour laquelle le président Jacques Chirac a pesé de tout son poids afin que TF1 soit associé à parité avec France 2.

Sources : Rapport annuel 2004 de Bouygues ; Une histoire, une culture, un groupe tourné vers l’avenir, ouvrage édité par Bouygues pour ses collaborateurs ; Le pays où Bouygues est roi, David Garcia, Danger public, 2006 ; TF1, un pouvoir, Pierre Péan et Christophe Nick, Fayard, 1997.


FICHE D’IDENTITE

Nationalité : française

Créée en 1952

113 000 salariés dans 80 pays

Principal dirigeant : Martin Bouygues

Rémunération annuelle : 2,51 millions d’euros bruts (2004)

Chiffre d’affaires : 23,4 milliards d’euros (2004)

Marques principales : Bouygues Construction, Bouygues Immobilier, Bouygues Télécom, Colas, TF1.

Principaux concurrents : Vinci, Eiffage


ACTIVITE

A force de se diversifier, l’entreprise de construction fondée par l’ingénieur centralien Francis Bouygues est devenue un conglomérat. La maison mère, Bouygues SA, est actionnaire à 100% de cinq grandes filiales : Bouygues Construction, présent en France comme à l’étranger via Bouygues Bâtiment International (dont Bouygues Turkmen représente à elle seule 1/3 du chiffre d’affaires ) ; Bouygues immobilier, créée à la fin des années 70 par Martin Bouygues ; Colas, leader mondial de la construction de routes ; TF1, première chaîne européenne de télévision ; et Bouygues Télécom, troisième opérateur français de téléphonie mobile et filiale la plus rentable du groupe.

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